Pierre Coutras et l’ésotérisme

Pierre Coutras et l'Alchimie
Pierre Coutras et l’Alchimie

Cet article arrive après bien d’autres, car ce n’est pas le plus facile à composer.
Nous avons de la matière, mais ne savons pas trop qu’en penser.
Nous allons essayer de recoller les morceaux.

9ème picturales Le Pompidou 2024

Le contenu de cet article a été présenté en conférence au Pompidou le 14 août 2024, dans le cadre de la 9ème picturale du Pompidou.

Initié ou amateur ? Mage ou mystificateur ? S’il est certain que Pierre Coutras s’est intéressé à l’ésotérisme, il est très difficile de déterminer son niveau d’investissement sur le sujet.

Marqué très tôt par la mort de sa jeune sœur, de son père, et d’un frère qu’il n’a pas connu, il comprendra très vite qu’elle est inéluctable, pour soi, pour ceux qu’on aime…
Elle est présente au détour de chacun de ses écrits. Peut-être chercha-t-il le réconfort dans d’autres voies que celle de la religion catholique dont il était imprégné ?

Méphistophélès - 2 mars 1939
Méphistophélès – 2 mars 1939
Pierre Coutras déguisé en Méphistophélès
Pierre Coutras déguisé en Méphistophélès

Il nous a souvent livré sa fascination pour le mythe de Faust, et surtout pour le démon qui le dupe : Méphistophélès.
Il le peindra, ou portera son costume…

Première période : la jeunesse, années 10-30

Pendant cette période, Pierre Coutras se consacrera essentiellement à l’écriture, publiant romans, nouvelles, poèmes, articles de journaux, etc…
Quelle part de sa vie consacre-t-il à l’ésotérisme à cette époque ?

Une approche de la Franc-Maçonnerie.

Les agendas de 1913 et 1914 commencent par un mystérieux
« Rendez-vous annuel avec la P(3 points)F(3 points)A(3 points) ».

Les 3 points en triangle sont un symbole utilisé par les Francs-Maçons, et on constate sur l’annotation de 1913 l’ajout en dessous d’une Etoile de Salomon inscrite dans un cercle, symbole hautement ésotérique, qui confirme la teneur de ce rendez-vous.
Nous noterons également la date du rendez-vous, similaire les deux années : le 13…

Agenda 13 janvier 1913 PFA
Agenda 13 janvier 1913 PFA
Agenda 13 janvier 1914 PFA
Agenda 13 janvier 1914 PFA
Insigne franc-maçon
Insigne franc-maçon ayant appartenu à Yvonne, la fille aînée de Pierre Coutras.

Xénophon, le squelette…

1930
Pierre Coutras et Xénophon en 1930

En 1922, « pour préparer l’écriture d’un roman », Pierre Coutras achète un squelette humain complet, nous lui avons consacré un article, car cela prenait trop de place ici.
Cet objet original en rejoint d’autres, tel un cercueil, pour enjoliver le repaire secret de notre mage : le Capharnaüm.

Le Capharnaüm.

"Capharnaum" plaque de laiton fixée au sol à l'entrée du deuxième capharnaüm.
« Capharnaum » plaque de laiton fixée au sol à l’entrée du deuxième capharnaüm.
Le premier Capharnaüm
Le premier Capharnaüm

C’est aussi en 1922, du 9 mai au 22 juin, que Pierre Coutras engage de gros travaux à la maison familiale, faisant réaliser un garage, et au-dessus, le premier Capharnaüm.
Il sera plus tard transféré au dernier étage de la maison familiale.
Dans l’un comme dans l’autre, avec la prédominance de la couleur rouge, les formules cabalistiques sur les murs, les grimoires anciens, le squelette, le cercueil, les objets étranges, il est clair que l’on entre ici dans un lieu consacré à l’occulte.

Le 1er capharnaüm aujourd'hui
Le 1er capharnaüm aujourd’hui, devenu débarras.
Le Capharnaüm en 2023
Le 2ème Capharnaüm en 2023
« Ad majorem Dei gloriam » « Pour une plus grande gloire de dieu », devise officieuse des Jésuites.
Une autre poutre porte « Sic transit gloria mundi » : « Ainsi passe la gloire du monde »

Le Cierge qui Fume.

Le cierge qui fume, roman de Pierre Coutras
Le cierge qui fume, roman de Pierre Coutras

Pierre Coutras publie en 1930 (à 40 ans) « Le cierge qui fume », roman relatant les affres d’un père voyant grandir son enfant adorée tout en sachant qu’elle mourra à 20 ans, prémonition obtenue par des moyens occultes.
Chacun des 13 chapitres porte le nom d’un démon, et nous avons étudié ce sujet dans l’article « le cierge qui fume ».
Le narrateur se présente comme un mage noir, qui à l’âge de 20 ans a étudié toutes les branches des sciences occultes dans l’ombre, fabrique de l’or, et a donné son âme au Diable.
« Mais je la lui avais reprise en constatant que je n’en avais pas »


Deuxième période : l’homme mûr, années 40-70

Dans cette deuxième partie de sa vie, Pierre Coutras consacre beaucoup de temps à sa peinture.
Parallèlement, il semble se pencher à nouveau sur l’ésotérisme, à visage découvert.

Article dans « V Magazine » du 11 mai 1947

"V Magazine" du 11 mai 1947
« V Magazine » du 11 mai 1947

Dans son numéro du 11 mai 1947, « V Magazine » publie un article anonyme et sensationnel sur Pierre Coutras sorcier, présentant sa baguette magique, son cercueil et son squelette au journaliste reçu au Capharnaüm.

Article du 23 octobre 1949 dans « Le Provençal – Dimanche » par André Giran

Plus spectaculaire encore est l’article d’André Giran que découvriront les lecteurs du « Provençal – Dimanche » du 23 octobre 1949.

1949 10 23 Le Provençal Article de Giran
23 octobre 1949 Le Provençal Article de André Giran
1949 10 23 Le Provençal Article de Giran
1949 10 23 Le Provençal Article de Giran
1949 10 23 Le Provençal Article de Giran
1949 10 23 Le Provençal Article de Giran

Photos prises par André Giran pour l’article de 1949

Une lettre à Daniel-Rops, 29 janvier 1953

Dans cette lettre, Pierre Coutras remercie son célèbre ami qui lui a fait parvenir son dernier livre « L’Eglise de la Cathédrale et de la Croisade ».
Voici ce qu’il lui dit, entre autres :

29 janvier 1953 lettre de PC à Daniel Rops EXTRAIT
29 janvier 1953 lettre de PC à Daniel Rops EXTRAIT

« Nous ne sommes pas du même côté de la barrière. Tu es du côté de l’Autel, dans la Cathédrale et moi, je suis… dehors ! Je fréquente le Diable. Tu travailles au grand jour, pour moi, c’est l’occulte.
Mais la Magie, la Fascination, l’Envoûtement, les Tarots, c’est aussi passionnant que l’Evangile… »

note sur les tarots
note de PC sur les tarots insérée dans le livret
Le Tarot de Pierre Coutras
Le Tarot de Pierre Coutras – Grimaud 1950

La Diabolique Tragédie, roman de Pierre Coutras, 1954

La diabolique tragédie
La diabolique tragédie

Nous avons bien sur consacré une page à ce roman.
La préface est soufflée par Dante Alighieri, auteur de la Divine Comédie, revenu d’entre les morts pour rendre un vibrant hommage à l’auteur.

Le roman est ensuite un dialogue entre Pierre Coutras et Satan.
Il est intéressant de noter que l’auteur autrichien controversé mais réputé Günther Schwab publie en 1958 un colossal roman intitulé « La danse avec le Diable », écrit de 1954 à 1958, qui repose sur la même construction : Belzébuth expose avec complaisance à 4 interlocuteurs tout ce qu’il met en place pour nuire à l’humanité (pollution, malbouffe, sinistrose…).

Le livre d’André Giran : « Reporter de l’étrange » – 1997

Reporter de l'étrange André Giran
Reporter de l’étrange par André Giran

Publié 40 ans après l’interview de Pierre Coutras…
Ce livre présente huit rencontres du journaliste avec 8 « personnalités » étranges…
Quatre d’entre elles n’ont laissé aucune trace (Carmen la Gitane, Bacos l’Indien Jivaro, Chasco le Sicilien, Albert Dedieu…)
Uma Mukanda, médium et peintre, autrice d’un livre sur la divination par l’encromancie (divination par les taches) voit sa mémoire perpétuée grâce à sa fille.
Jean Raillon, « l’alchimiste des plantes » héritier de la recette d’une pommade extraordinaire qui aurait guéri Reda Caire d’une extinction de voix, et Charlie Chaplin d’un eczéma récidivant, devenu aromathérapeute, a créé des produits à base de plantes, que commercialise encore aujourd’hui son petit-fils.
Alexandra David-Néel est le 8ème personnage, et il n’est pas besoin de revenir sur sa notoriété.
Une trentaine de page est consacrée à Pierre Coutras.
Penchons nous sur celles consacrées à l’ésotérisme.

André Giran repart de la visite qui a été commentée dans l’article de 1949, avec plus de détails, et raconte les suivantes, car il y en aura d’autres.

Reçu dans le Capharnaüm, le journaliste va assister au traçage d’un cercle de feu, à plusieurs invocations, et à la fabrication d’un morceau d’or à partir de métal vulgaire à l’aide de la poudre de projection alchimique.

Pierre Coutras lui confiera comment il a découvert le secret de la pierre philosophale, et lui montrera ses livres de magie les plus rares et les plus précieux.

Et aussi que sa réputation de puissant mage lui assure le succès dans ses plaidoiries, nul n’osant l’affronter ou lui porter tort par crainte de représailles.

Plus de 40 ans après sa première rencontre avec la mage moderne, le journaliste semble toujours vivement impressionné par cette expérience.

La bibliothèque ésotérique de Pierre Coutras

Au début des années 70, Yvonne, la fille aînée de Pierre Coutras, lui demande ses livres d’ésotérisme. Quelques temps plus tard, se sachant atteinte d’une maladie prise trop tard, elle y cherchera l’espoir d’une vie après la mort.
Voici l’intégralité de ce qu’il lui donne à l’époque, puisqu’il ne reste à priori aucun autre livre de ce type dans la maison familiale.

Livres de la première période (1910 – 1930)

Les prophéties de Nostradamus
Les prophéties de Nostradamus – Editions Delarue à Paris – 1866
Hypnotisme et magnétisme 1907
Hypnotisme et magnétisme – Jean Filiatre – 1907
Enquête sur des cas de psychométrie 1910
Enquête sur des cas de psychométrie – Edmond Duchatel – 1910 (1ère édition)
Le livre pratique des spirites
Le Livre Pratique des Spirites – Achille Borgnis – 1920
Les Sciences Occultes 1922
Les Sciences Occultes – Etienne Ducret -1922
Grand Albert 1925
Les secrets admirables du Grand Albert – 1925
Attribué à tort au théologien et philosophe Albert le Grand
L'envoutement
L’envoûtement – Dr Robert Teutsch – 1928
Magiciens et illuminés 1930
Magiciens et illuminés – Maurice Magre -1930

Livres de la deuxième période (1940 – 1970)

La Kabbale 1947
La Kabbale – Henri Serouya – 1947
Le Tarot de Marseille - Paul Marteau - 1949
Le Tarot de Marseille – Paul Marteau – 1949 (Peut-être acheté par sa fille Yvonne)
La vie continue de l'âme 1952
La vie continue de l’âme – Andrée Naschitz-Rousseau – 1952
L'énigme de la main
L’énigme de la main – Madame A. de Thèbes – 1901-
Lui a été offert par Germaine Rousseau-Deligny en 1962

ATTENTION !
Vous qui entrez ici, perdez toute espérance !

(Dante Alighieri, in « La Divine Comédie)

Si tout ce qui se trouve ci-dessus vous va à ravir, et c’est bien votre droit, n’allez pas plus loin… Car nous allons maintenant reprendre point par point…

Citation visible au Capharnaüm de Pierre Coutras
Citation visible au Capharnaüm de Pierre Coutras

Vous êtes toujours là ? Alors, reprenons…

Une approche de la Franc-Maçonnerie

Une demande auprès du Grand-Orient de France pour vérifier l’existence d’une loge PFA sur Marseille à l’époque nous est revenue négative.
Nous interrogerons d’autres obédiences, mais quoi qu’il en soit, il n’y aura plus de rendez-vous les années suivantes.
Il est possible qu’il s’agisse de deux « passages sous le bandeau », ayant entraîné le refus de la candidature de notre jeune homme, certainement un peu trop arrogant à l’époque pour être reçu…

Le Capharnaüm

Nous avons vu que le 1er Capharnaüm, construit au-dessus du garage, sera plus tard transféré au dernier étage de la maison familiale, ce qui serait une très mauvaise idée s’il avait vocation à abriter des expériences occultes.
Le choix du nom est particulier : il désigne en français un lieu de grande pagaille, un entassement de choses disparates, et même s’il est bien organisé à l’époque, c’est bien choisi, car pour des travaux magiques, « Occultum », « Atelier », « Oratoire », nous aurait semblé plus approprié.

Une valise propice à l'ambiance...
Une malle propice à l’ambiance…

Dans le deuxième et actuel Capharnaüm, les inscriptions cabalistiques peintes sur les murs du précédent (en grec-phénicien-cyrillique à priori) ont été remplacées par des inscriptions en latin religieuses, royalistes, et par les noms de Coutras et Rocheblave.
Il restait en 2023 une seule trace évidente d’approche ésotérique : de petites images, fixées par 4 punaises chacune sur les côtés des bibliothèques (fabriquées en empilant des caisses de lait concentré Nestlé peintes en rouge).
Nous les avons détachées et scannées, avant de les ranger dans du papier de soie, car elles sont extrêmement fragiles.
Que représentent-elles ? Deux Arcanes Majeurs du Tarot de Marseille (La Force et la Roue de la Fortune) et des illustrations inspirées de la Kabbale et de l’ésotérisme rattaché à l’Egypte ancienne.
On est très proche des recherches de la Golden Dawn, société secrète florissante à la fin du XIXème, qui influence encore les études occultes aujourd’hui, et très à la mode au milieu du XXème siècle.
Que penser de cette exposition ? La découpe irrégulière des images laisse à penser que l’on a voulu donner un air ancien à des pages arrachées dans un livre, mais lequel ? Ne s’agirait-il pas d’un simple décor ?

Le Cierge qui Fume

Le Cierge qui Fume - table des matières
Le Cierge qui Fume – table des matières

Nous savons que les romans de Pierre Coutras sont hautement autobiographiques, et qu’ils apportent d’ailleurs parfois des détails intéressants sur sa vraie vie.

Dans celui-ci, il se présente comme un mage puissant, maîtrisant parfaitement l’Art occulte, et il crée une ambiance saisissante en donnant à chaque chapitre le nom d’un démon. Nous avons déjà étudié cela dans l’article consacré au « Cierge qui Fume ».

Voici donc ci contre la table des matières du « Cierge qui Fume » :

Les Sciences Occultes page 65
« Les Sciences Occultes » page 65

Mais quel dommage… Dans le livre ayant appartenu à Pierre Coutras : « Les Sciences Occultes », page 65, nous trouvons la liste des démons constituant « La cour Infernale » exactement dans le même ordre !

Pour les 8 premiers, tout au moins, auxquels il a ajouté son favori : Méphistophélès.

Nous avons ensuite une liste hétéroclite de démons successivement Perse (Ahriman, Zoroastrisme), Grec (Typhon), Hindou (Sisciah), Philistin (Astaroth), très Judéo-Chrétien (Mammon, symbole des richesses matérielles…) et enfin Sémite avec le bien connu Belzébuth…
Bref, il ne semble pas que tout cela découle d’une étude approfondie de la démonologie…

Nous passons ici de la première période (années 10 à années 30) à la deuxième (années 40 à années 70).

Que s’est-il passé entre les deux périodes ?
– Céleste, la mère de Pierre Coutras, est décédée en 1946, et elle n’aurait certainement guère apprécié que son fils se présente au public comme un sorcier fréquentant le diable…
– Une autre guerre, celle de 39-45, qui, comme celle de 14-18, est porteuse de changements de société, de mentalités…
– A la fin de la guerre, Jeanne, la fille cadette de Pierre rencontre son futur époux lors d’une soirée chez sa sœur Yvonne. Le beau-frère de celui-ci est Max Escalon de Fonton, authentique initié, qui apporte certainement à Pierre Coutras de nouvelles idées.

Initié au Tarot ?

note sur les tarots
note sur les tarots

Nous avons vu que le Tarot de Marseille « numéro 1 » est une édition de 1950… N’est-ce pas un peu tard pour s’intéresser à un sujet aussi important ?
Ci-contre une note de la main de Pierre Coutras, rangée dans le livret d’accompagnement de son Tarot de Marseille.
Un maître du Tarot n’en a nul besoin, mais ce qui est plus ennuyeux, c’est qu’elle est erronée :
Epées = Piques = Noir
Bâtons = Trèfle = Noir
Deniers = Carreau = Rouge
Coupes = Cœur = Rouge

La Bibliothèque ésotérique de Pierre Coutras

Nous constatons que les livres de la 1ère période ont été lus et relus, en particulier les « Prophéties de Nostradamus » et « Magiciens et Illuminés », de Magne.
Ils sont à mon sens la principale source de ses connaissances ésotériques. Par ailleurs, je sais que Pierre Coutras, ainsi que son aînée Yvonne, a tenté quelques expériences de médiumnité, fait tourner des tables et tiré les cartes, mais nous sommes plus près d’un divertissement de salon que d’une pratique occulte.
Les seuls livres « référence » de cette collection sont celui de Henri Serouya sur la Kabbale, et celui de Paul Marteau sur le Tarot de Marseille, mais ils ont été visiblement peu exploités.
Les autres sont des publications inscrites dans leur époque, oubliées aujourd’hui.
Colette et Georges Tiret habitaient à Marseille, où Georges était juge. C’est d’ailleurs au tribunal qu’il remet en général ses livres dédicacés à Pierre Coutras. Mais ils n’ont pas marqué le monde de l’ésotérisme.

Où sont les grands maîtres de l’occultisme ?

L’article dans V Magazine du 11 mai 1947

Agenda 11 mai 1947 article dans V Magazine
Agenda semaine du 11 mai 1947

Dans son numéro du 11 mai 1947, « V Magazine » publie un article à sensation sur un Pierre Coutras sorcier, présentant avec complaisance sa baguette magique, son cercueil et son squelette au journaliste reçu au Capharnaüm.

Est-il utile de préciser qu’un véritable pratiquant des arts occultes ne montrera jamais ses outils à un profane ? Quant à la description de la fabrication de la baguette magique… elle est d’un exquis romantisme.

En avril 1947, Pierre Coutras a exposé ses tableaux, ainsi que ceux de sa fille Yvonne, à la Galerie Blanc.
Il semble que l’objectif de l’article est surtout de faire parler de lui en tant que peintre, le côté « mage » ne servant que d’accroche.
D’ailleurs, dans son agenda de la semaine, Pierre Coutras se félicite de la publication de sa photo dans un journal, sans plus. Et en remontant les 6 mois précédents, je ne trouve aucune trace de sa rencontre avec le journaliste (anonyme, nous y reviendrons).

L’article dans Le Provençal Dimanche du 23 octobre 1949

La rencontre journalistique de 1947 n’aurait-elle pas donné des idées de mise en scène à Pierre Coutras ? Car ici, on sort le grand jeu ! Cercle de feu, incantations…

Si l’on regarde de plus près, on constate que sur certaines photos de l’article de 1949, Pierre Coutras porte les mêmes vêtements que sur celle de l’article de 1947.
Si l’on s’intéresse à la vie du journaliste André Giran, on apprend qu’il a collaboré de longues années à « V Magazine ».
C’est donc certainement lui qui a écrit l’article anonyme de 1947, et certaines photos datent de cette époque. Il est en effet revenu interviewer Pierre Coutras et prendre d’autres photos le 12 octobre après le souper, photos qu’il est venu lui montrer le 20 octobre. (Agenda de 1949)
Il a été également correspondant de « Paris-Match », et il est clair que son créneau est le journalisme à sensation.
Sa relation avec Pierre Coutras, amateur de sensationnel, développée plus loin dans son livre, nous semble bien teintée d’une grande complicité…
Ravi de la publication de cet article, Pierre Coutras achète 20 exemplaires du journal, et écrira dans son agenda au 25 octobre : « Le reportage André Giran a fait un effet formidable. »

Le livre d’André Giran « Reporter de l’étrange »

Pierre Coutras reçoit André Giran dans son Capharnaüm, et le journaliste s’étonne de l’omniprésence de la couleur rouge. Pierre Coutras lui explique que c’est la seule couleur qui favorise ses recherches et il lui présente alors 3 livres rarissimes :
– Le Catholicon de 1460 (Une des premières éditions avec la méthode Gutenberg, il s’agit en fait d’un dictionnaire de latin…)
– L’Antéchristus de 1488, qui n’est référencé nulle part…
– L’Annociatones Gulielmi Budaci de 1546, qui n’existe pas.

Autre livre encore plus rare, composé de 7 feuillets en bois, gravés en hébreu, dont le premier mot est la « terrible malédiction » « Maranatha » : il s’agit en fait d’un mot araméen signifiant « Le Seigneur vient », et annonçant l’arrivée de Jésus Christ, utilisé 2 fois dans le Nouveau Testament.
Ce livre serait la copie exacte du « Livre d’Abraham le Juif ». Il n’est pas trop grave que nous l’ayons perdu, puisqu’on peut dorénavant l’acheter en librairie pour une vingtaine d’euros.

Bien entendu, ce livre précieux, décrypté par un initié, permet de fabriquer de l’or, et démonstration est faite immédiatement devant le journaliste « épaté ».

Pour ce livre, comme pour l’initiation aux secrets du Consollamentum des Albigeois, tout est dit dans un livre que Pierre Coutras a beaucoup manipulé : « Magiciens et Illuminés » de Maurice Magre.

La référence faite au « confidentiel » « Malleus Maleficarum » (ou Marteau des Sorcières) utilisé par les inquisiteurs fait sourire aujourd’hui. Lui aussi disponible pour quelques dizaines d’euros, il a perdu de sa réputation sulfureuse.

André Giran poursuit sa présentation de Pierre Coutras sur d’autres sujets, passant un long moment sur sa collection d’allumettes.

Puis on revient à l’ésotérisme, en continuant à puiser dans le livre de Maurice Magre « Magiciens et Illuminés » : Hermès Trismégiste et la Table d’Emeraude, Nicolas Flamel, les Rose-Croix…
Pourquoi fait-on l’impasse sur le dernier chapitre consacré à l’extraordinaire Héléna Blavatsky, fondatrice en 1875 de la Société de Théosophie ? Pas parce que c’est une femme, quand même ?

Autre épisode : Pierre Coutras aurait rencontré maintes fois le Sâr Péladan, qui lui aurait appris que lui, Pierre, était la réincarnation de Nicolas Flamel, et l’aurait aidé dans ses recherches occultes. Joséphin Péladan est mort en 1918, et on ne trouve aucune trace de lui dans les Agendas de Pierre Coutras.

André Giran continue en listant tous les grands Maîtres dont Pierre Coutras a étudié les ouvrages, Eliphas Levi, Papus, Stanislas de Guaita, Arnaud de Villeneuve, Fulcanelli… Ce sont effectivement aujourd’hui des références à étudier en matière d’ésotérisme, mais le journaliste noie le poisson, et c’est en fait de sa bouche que sortent les propos, pas de celle de son sujet.
Rappelons-nous que le chapitre est écrit de longues années après la mort de Pierre Coutras.

Et ici nous rencontrons un problème : cet homme conservait ses tickets de bus et les clous qui crevaient ses pneus… il rapportait dans de multiples journaux ses moindres faits et gestes… Or, nous ne trouvons aucune trace dans ses archives d’une quelconque pratique occulte, d’un quelconque apprentissage, peu de livres, pas de grimoires, pas d’accessoires, pas de tenues…

Nous devons donc faire des hypothèses.
Pierre Coutras, né en 1889, grandit et se construit en tant qu’adulte dans la grande mouvance de l’occultisme renaissant en France (1860 / 1920).
La même période a vu se développer l’égyptologie, mouvement qui lui a inspiré son roman historique « Scéniophrès« .
Il cite parfois dans ses écrits entre autres Eliphas Levi, grand maître des arts occultes de l’époque, mais s’il l’a lu, qu’a-t-il fait de ses livres ? Pierre Coutras mentionne ses emprunts aux bibliothèques dans ses agendas, et il n’y a pas trace de livres ésotériques.
Alors ? A-t-il étudié, pratiqué, survolé ?
On peut bien sûr s’intéresser aux arts occultes par curiosité intellectuelle, et ne pas pratiquer.
Cependant, Pierre Coutras se présente comme alchimiste, maitrisant la transmutation du plomb en or (nous savons bien sûr que cette formule recouvre plusieurs sens !), comme mage capable d’invoquer les démons, comme spécialiste de la Kabbale, comme spirite…
Alors, où sont ses grimoires, indissociables de la pratique, ses instruments consacrés, ses tenues de rituels ?
Les a-t-il détruits, après s’être « fait peur » lors d’une expérience de spiritisme trop poussée, comme je l’ai entendu une fois dans la famille ? Très peu probable !
Les a-t-il cachés ? J’aimerais bien…

Mais non ! André Giran nous donne la réponse : une heure après le décès de Pierre Coutras, 3 incendies simultanés se déclenchent dans le Capharnaüm, et détruisent tous ses ouvrages et travaux ésotériques.
Les pompiers ne pourront pas éteindre les flammes, qui heureusement ne s’attaquent qu’aux preuves des recherches ésotériques et alchimiques de Pierre Coutras. Ouf !
On retrouvera dans les cendres des ossements humains, restes évidents du squelette qui logea un certain temps au Capharnaüm… mais qui l’avait quitté plus de 10 ans auparavant, flûte !
Et le plus étrange, c’est que la famille, qui habite la même maison, n’a vu aucun incendie !

Faisons le point : l’approche de l’Art Occulte que nous propose Pierre Coutras est conforme à sa personne, son éducation, et au courant ésotérique à la mode dans la première moitié du XXème siècle :
– elle est fondée sur les croyances judéo-chrétiennes, et fait totalement l’impasse sur les traditions celtiques, nordiques, gauloises.
– elle est éminemment patriarcale, les femmes ici sont absentes ou passives.
– elle est parcellaire, réduisant de manière triviale l’Alchimie à la fabrication de l’or et de la pierre philosophale, et ignorant (entre autres) l’Astrologie, la Magie naturelle, le Symbolisme et le Tarot qui sont des piliers essentiels de l’Art.
– elle est imprégnée de démonologie, ce qui se rapproche plus des contes de fées que des arts occultes.
– bref, elle correspond à une recherche de richesse et de pouvoir, ce qui est bien loin des véritables trésors qu’elle peut offrir.

Arrivée ici, je veux rendre hommage à mon grand-père Pierre Coutras, et à son probable complice André Giran, qui m’auront fait passer du bon temps sur ces recherches.
Pendant lesquelles j’ai appris des choses… dont je ne parlerai pas ici, mais qui pourraient tout remettre en question…

Grand initié ou mystificateur ? Quelle importance ?

Je suis convaincue que sur le tard, Pierre Coutras a compris beaucoup de choses, et a eu le temps de réaliser la véritable Transmutation Alchimique.

le Mage
Mage ou prestidigitateur ?
Arcane 1 Le Bateleur
Arcane 1 Le Bateleur