Pierre Coutras, l’avocat

Pierre Coutras en 1911
Pierre Coutras en 1911

Descendant d’une lignée de marins, mais fils d’avocat, il devint avocat lui-même.

Il semble que ce fut le choix de ses parents, peut-être judicieux, dans une famille bourgeoise où l’aisance, bien que confortable, n’était pas suffisante pour permettre de mener une vie de rentier.
Quoi qu’il en soit, après des études classiques au pensionnat du Sacré-Cœur, rue Barthélemy, comme externe, où il obtient le Baccalauréat (latin-langues), il « fait son droit » à l’Université d’Aix en Provence et prête serment d’Avocat le 23 Octobre 1911, devant la Cour d’Aix (1ère chambre). 

Le lendemain il est reçu comme avocat stagiaire au Barreau de Marseille.

Il est alors autorisé à épouser sa chère Suzanne, mariage qui aura lieu en 1912.

Il fut reçu « Officier de l’Instruction Publique » le 7 Avril 1932.

Il plaida sa dernière affaire le 20 Décembre 1962, et prit sa retraite en 1963.


1909 - Pierre COUTRAS, étudiant en droit
1909 – Pierre COUTRAS, étudiant en droit

Pierre Coutras occupe rapidement le poste de secrétaire de la Conférence des avocats.

Il est inscrit comme membre du Conseil de l’Ordre en 1912 avec le numéro 60.

En 1913, il est avocat stagiaire au 31 rue Grignan, avec Maître Garrigues, avoué, et Maître Roche, avocat.

Il partage ensuite, et jusqu’à sa retraite en 1963, un cabinet d’avocats au 60 rue Grignan, d’abord avec Maître Eugène Pierre, futur Maire de Marseille (de 1914 à 1919), puis Maître Michel, puis Maître Francis Ripert.

Son père, Joseph

Joseph Coutras
Joseph Coutras

Le père de Pierre, Joseph, est décédé en 1907, rongé par le chagrin de la perte de son deuxième enfant, Valentine, à 12 ans, après Auguste, mort à 5 ans avant la naissance de Pierre.
Il a présenté sa thèse de Licence en Droit à la faculté d’Aix en Provence en 1870, et exercé au Barreau de Marseille, son cabinet étant au 1, Rue Molière. Il fut également juge suppléant à la Justice de Paix du 2ème canton.

Il avait acheté sa robe « au moment de prêter serment devant la cour,[…] pour 75 francs , le 23 novembre 1870, chez M. Jullien, chapelier, à Aix en Provence, rue Boucherie, 4 et rue des bouteilles, 3 et 4. »
Il portera cette robe jusqu’en 1903.

Pierre, avocat

Pierre portera la robe de son père, dès son inscription au barreau en 1911, « avec vénération » :

« J’aime cette toge de tout mon amour pour mon père et de tout mon amour pour ma profession. J’estime que la profession d’avocat, pour celui qui l’exerce suivant les traditions, est la plus belle de toutes. Aussi les avocats jouissent encore de leur considération, alors que les médecins, les élus, les magistrats, les officiers ministériels, les militaires, les commerçants, les propriétaires ont perdu la leur.
Quelle joie d’avoir le droit de revêtir cette chose noire qui contient tant de poésie et tant de réalités, cette robe archaïque, seul reste des temps anciens dans notre banale uniformité ; ce costume moyenâgeux qu’illustrèrent tant de grands hommes, cette hermine qui a été mêlée à toute notre Histoire, cet emblème consolant qui accompagna tous les condamnés à mort jusqu’au seuil de l’éternité, depuis le plus infime pendu jusqu’à Jeanne d’Arc et Marie-Antoinette !
Quelle joie, sous cette robe qui cache la pauvreté comme la richesse, de pouvoir dire au Gouvernement : « Je me moque de vous ! », au Procureur de la République : « Vous avez tort ! », à la Police : « Je vous méprise ! » au méchant : « Vous ne nuirez plus ! »
Quelle joie de pouvoir arracher des frères aux griffes de la cruelle justice ; de se trouver parfois seul, tout seul, contre le public, contre l’opinion publique et contre le ministère public pour défendre un innocent !

Avocat Cayenne
Collage offert à Pierre Coutras par un client : l’avocat est dessiné et peint, collé sur un fond d’ailes de papillons, et protégé sous une vitre provenant d’une lanterne du mur d’enceinte du Bagne de Cayenne…

Quelle joie de pouvoir dire au faible : « Je vous défendrai parce que cela me plaît ! » A un fort : « Je vous attaque parce que cela me plaît ! »
Quelle joie d’être indépendant, de se sentir libre, de jouir de toutes les immunités de la défense, d’être dépositaire de secrets terribles, de tout savoir, de ne rien dire que ce qu’on veut, mais tout ce qu’on veut, d’habiter un lieu d’asile interdit à la Police et au Fisc, tout cela pour rien, pour l’honneur, pour la gloire, car un avocat, d’après les Règles de l’Ordre, ne réclame pas ses honoraires, ne signe pas de reçus, ne fait pas de publicité !
Quelle joie de pouvoir encore, tel un chevalier des Temps Anciens, ou un moine, obéir aux Règles sévères, mais sages, de son Ordre !

Ah ! Vieille robe paternelle, déchirée, rapiécée, usée, trouée, mais dont l’hermine est toujours blanche, immaculée, toi que j’ai admirée sur la personne chérie de mon père, toi que j’ai arborée ensuite, fièrement, dans tous les prétoires civils et criminels, devant le Conseil de Guerre et en Cours d’Assises, soutiens-moi dans la lutte que j’ai engagée contre la Bêtise et contre la Force. Couvre les battements de mon cœur quand la tâche est difficile, dissimule mes défaillances quand elle est douloureuse. Protège-moi contre les embûches, montre-moi les pièges tendus pour salir ton hermine, aide-moi à les éviter. Fais que j’aie toujours le droit de te porter, afin que la mort me soit plus douce si elle vient me prendre dans tes plis où se sont accumulées tant d’énergies, tant de luttes, tant de souffrances, et que n’ont pu salir tant de crimes, tant de crachats, tant d’injustices ! »

Pierre Coutras, Les Piquants du Marron (1929)

Cette longue citation, écrite en 1928, vient en contradiction d’une annotation portée par Pierre Coutras à la fin de son agenda de 1918 :

1918 mon métier d'avocat big
Extrait de l’Agenda de 1918 voir texte ci-dessous

« Jamais je n’avais autant gagné. Le métier d’avocat ne me plait toujours pas, mais je le continue parce que l’on y gagne largement sa vie lorsqu’on sait faire. Je ne sais pas encore faire ? Ca viendra.
Mais je voudrais plutôt être homme de lettres. Malheureusement, on n’y gagne rien en débutant et je suis ennuyé de ne pouvoir écrire des livres. J’espère qu’après la Paix, il me sera possible de m’y remettre.
« 

Ce regret de ne pas pouvoir être exclusivement écrivain sera exprimé à d’autres occasions. Il semble qu’à la longue, Pierre Coutras finira par aimer son métier, pas seulement pour le gain, le prestige ou le pouvoir qui s’y rattachent, ou les relations qu’il permet de tisser, mais aussi pour son côté humain et inspirant pour un écrivain.

Il raconte dans « Chimères dans mon ciel » (1966) :

« Cette profession me passionna, car elle est sportive et conforme à mon tempérament combatif. Elle livre des documents humains de premier ordre au romancier, au psychologue, au sociologue. Elle apprend le dédoublement parce que l’avocat doit s’identifier à son client. Se trouver seul pour défendre un innocent, ou un coupable, que la société accuse et écrase, et qui risque la ruine, la prison, le bagne ou la mort… Quelle ivresse ! Obligé de changer de règle tous les quarts d’heures, comme les moines, l’avocat occupé devient rapidement l’être le plus intelligent de la société. »
« Pendant plus de cinquante ans j’ai porté cette robe noire, archaïque, ornée d’une hermine qui est blanche pour signifier que la fréquentation des crimes et des turpitudes ne la salit point.
« 

Il décrit ainsi son bureau dans « Les piquants du marron » :

Pierre Coutras à son cabinet lit le numéro 1 de Fortunio le 9 novembre 1954
Pierre Coutras à son cabinet le 9 novembre 1954

« C’est à cause de mon horreur du bureau que mon cabinet d’avocat, où je reçois mes clients, tapissé de tableaux, ressemble plutôt à un salon, à un fumoir, à un studio d’artiste, car je m’efforce de faire disparaître à mesure de ma table où il n’y a rien, les papiers et les dossiers que l’on m’apporte.« 

Précisons que les tableaux en question sont de sa main, généralement peints au Ripolin sur des supports divers, et de sujets variés, entre autre des chats, de dos et la queue en l’air…

Dès 1914, une cohorte de lois régissant les rapports entre locataires et propriétaires va provoquer quantité de conflits, ainsi qu’une terrible crise du logement à Marseille. (Article détaillé ici)

Il se spécialise dans ce domaine, et sera rapidement surnommé « Le Pape des Loyers ».
Constant Vautravers écrit, dans la nécrologie qu’il lui consacre (Le Provençal du 8 février 1981) : « La rue Grignan ne désemplissait guère de la foule des petites gens en difficulté avec leur gérant ou propriétaire. »

Pierre Coutras consacre à ce sujet son roman « Propriétaire pendant la guerre » (1917) et sa pièce de théâtre « La question des loyers » (1921).

 Il écrit, encore dans « Les piquants du Marron » :

« Habitué à plaider les causes les plus diverses, je change d’opinion dès que je m’aperçois que je suis dans l’erreur. Y a-t-il une erreur ? Une vérité ? Tout se défend. Je passe ma vie à observer les gens qui essayent d’être justes : juges dans leurs sentences, députés dans leurs lois, fonctionnaires dans leurs règlements, présidents dans leurs sociétés, maîtres dans leurs classes, pères dans leurs familles. Ils n’aboutissent, les uns et les autres, qu’aux pires injustices. Alors, pourquoi se contraindre à la justice ? Pourquoi garder la mesure ? C’est difficile et c’est inutile. Est-ce que la nature est juste ? Est-ce qu’elle agit avec mesure ? Est-ce que l’Egalité existe dans le monde ? Non ! Et c’est bien ainsi. Alors, soyons excessifs. Exagérons, comme les Marseillais que nous sommes.« 

Toé caricature de Pierre Coutras
Caricature de Pierre Coutras par Toé (Antoine Antona) qui publia un album de caricatures du Barreau de Marseille dans les années 20.

Parallèlement à son activité d’avocat, Pierre Coutras s’intéresse quelques temps à la politique, participe à la campagne d’Aimable Chanot à la Mairie de Marseille en 1912, puis à celle d’Eugène Pierre en 1914.

Homme de paradoxes, cet avocat fustigera toute sa vie dans ses propos et ses écrits, véritables pamphlets, le poids écrasant des lois, des réglementations, de l’administration et du fisc.

Continuons notre parcours dans le Tarot de Marseille, que notre avocat féru d’ésotérisme n’aurait pas dédaigné…

Arcane 11 La Force
Arcane 11 La Force

Pourquoi pas « La Justice » ? Elle est déjà prise par « La question des Loyers ». Pourquoi pas « Le Jugement » ? Il aura sa place ailleurs.
« La Force » représente la capacité de réalisation de ce que nous désirons. Et aussi l’alliance entre la volonté et les instincts.
Elle me parait tout à fait appropriée ici. Pierre Coutras a su trouver un équilibre entre ses désirs profonds et la nécessité.
Par ailleurs, la femme ouvre la gueule de l’animal, favorisant l’éloquence, la prise de parole, l’expression de la vérité.
Et enfin, relisez l’article, Pierre Coutras l’invoque à la fin de la première citation des Piquants du Marron, même s’il parle d’un combat contre elle, l’Arcane représente ici la Force qui était en lui.