Première édition en 1929
Editions de Pro Arte
217 pages
Réédition aux éditions de La Sauterelle en ?
Dédié « A ma mère »
Même si toute l’œuvre de Pierre Coutras est hautement autobiographique, « Les Piquants du Marron » marque un tournant dans les écrits.
La préface affiche clairement qu’il s’agit de souvenirs, et l’on est interpelé dès la première phrase :
« A mesure que je vieillis, maintenant que je sens mes forces faiblir et la décrépitude menacer mes facultés, je cherche à me cramponner à la vie, à ralentir le cours du temps inexorable. »
On est alors tenté de vérifier la date de publication du livre, et de compter sur ses doigts : en 1929, Pierre Coutras a… 40 ans ! Et vivra encore 52 ans, mais ça, il ne peut pas le savoir !
L’ensemble du livre est empreint de nostalgie, comme s’il relatait des souvenirs très anciens, d’une époque révolue, perdue à jamais.
Ce qui est une réalité : la guerre de 14-18 a changé la société française, les « années folles » sont une période de grands bouleversements de société, de mœurs, de technologies. Le surréalisme s’installe, les cheveux et les vêtements des femmes raccourcissent…
Pierre Coutras, comme beaucoup d’entre nous, est attaché à ses premiers souvenirs, ses premières impressions, mais il sait que tout cela appartient dorénavant au passé. Il raconte alors, dans un ultime effort pour que tout cela reste vivant, pour transmettre à ceux qui n’auront pas partagé cette époque.
En 13 chapitres, (nombre symbolique ?) il évoque tout ce qui lui est cher.
Chapitre 1 : Ma Maison
Nous apprenons ici toute l’histoire de la maison de famille marseillaise, de sa construction en 1778, jusqu’à son achat par Valentin Coutras, commandant de navires, grand-père de Pierre, en 1830.
Et puis les souvenirs de Pierre, viscéralement attaché à ce réceptacle d’amour et de souvenirs, se déversent. Se déverse aussi son habituelle aigreur contre les lois, règlements, impôts et taxes qui pourraient compromettre l’harmonie de cette relation vitale. On ne peut lui en vouloir…
Chapitre 2 : Mon Village (14 avril 1927)
Ce « village », c’est Marseille, sa ville, que Pierre Coutras nous décrit du plus loin jusqu’au plus près, avant de lui déclarer sa flamme :
» Je l’aime de tout mon cœur, comme un petit enfant. Elle est le jardin de ma maison chérie, la branche qui porte mon nid.
Elle est ma vraie terre natale. Je n’en ai pas été arraché. Je m’y sens enraciné jusqu’au fond de mon être car je n’ai jamais été transplanté.
Elle est mon horizon, mon ciel, mon air, et ma nourriture. Je m’en barbouille, je la lèche, je la suce, je respire son parfum adorable d’ail et de mistral, je grise mes yeux de sa lumière bleue et or, je berce mes oreilles de ses bruits marins.
Elle me pénètre et je m’y trempe : je l’ai dans l’os.
Je l’aime à la frénésie, avec injustice pour les autres villes, jusqu’à l’injure pour ceux qui me contrarient.
Je l’adore, je l’adore avec dévotion, je l’adore avec orgueil et je l’adore avec rage. »
Il nous parle de la Cannebière, (bien que celle-ci ait perdu un « n » à partir de 1927, ce qui le révolte), de Notre Dame de la Garde, du cimetière Saint Pierre…
Et puis il déplore l’invasion de sa ville tant aimée par les « étrangers ». Mais n’est-ce pas là ce qui fait Marseille ? Rassurons nous, ce terme d' »étranger » qualifie aussi le Maire de l’époque, non nommé, mais il s’agit de Siméon Flaissières, né… dans l’Hérault ! (et non à Mazamet comme indiqué dans le livre) Et toute personne née hors de Marseille, d’ailleurs.
Il regrette que ces « étrangers », dénués d’amour pour sa ville, la défigurent par des décisions qu’il juge absurdes.
Il termine par une visite nocturne sur le parvis de Notre Dame de la Garde, Marseille à ses pieds, ne souffrant d’aucune rivalité.
Chapitre 3 : Ma Rue (15 juin 1927)
Dans ce court chapitre, Pierre Coutras déplore le départ des familles « historiques » du quartier, au profit « d’étrangers », et surtout le changement de nom de sa rue.
En effet, la « municipalité d’étrangers » a décidé de remplacer le nom de l’entrepreneur qui avait construit la plupart des maisons à la fin du XVIIIème siècle par celui… d’un étranger ! Et oui, les nouvelles plaques de rue désignent un individu né… dans les Alpes Maritimes !
Chapitre 4 : Le Bocal de Terre Rose (26 juin 1926)
« Dans une vitrine où vieillissent des choses rares, je possède un bocal de verre rempli de terre grise. D’un gris qui tire sur le rose. Sur son étiquette, on lit : « Terre de notre campagne ».
A Marseille, on appelle « campagne » une propriété rurale qui est plus qu’un « cabanon », moins qu’un château, et plus rustique qu’une villa.
Notre campagne était à Saint Antoine, mais bien loin du village, dans les pierres du quartier des Beaumions, au pied des collines de l’Etoile. »
Le quartier, sis dans le XVème arrondissement de Marseille, s’appelle aujourd’hui « quartier des Baumillons », et pour le situer, il est près de l’Hôpital Nord… Inutile de chercher où était la « campagne ».
La propriété, à laquelle il ne fut jamais attribué de nom, a été vendue en 1915, et la famille Coutras mettra 15 ans à retrouver une « campagne » qui lui convienne.
On se rend « à la campagne » les jours où il n’y a pas d’école, les fins de semaine, les vacances.
Pierre raconte, les trajets en omnibus à cheval, les paysans, leurs chevaux, chiens, chèvres, les fleurs, les oiseaux, les papillons, les insectes… les repas du soir sur la terrasse de laquelle on voyait la mer, la messe, et surtout les jeux, avec Valentine, la petite sœur tant aimée et perdue.
On ne peut s’empêcher de penser aux « Souvenirs d’enfance » de Marcel Pagnol (né 6 ans après Pierre Coutras, fils d’un Joseph, également), qui parcourt lui aussi les collines de l’Etoile, côté Aubagne, à quelques années d’intervalle.
C’est dans ce chapitre que Pierre raconte la maladie et la mort de Valentine, en octobre 1902, et l’on découvre qu’il en porte une certaine culpabilité, convaincu qu’elle aurait été sauvée s’il avait été là. Absent de la « campagne » pour sa rentrée scolaire, il revient à la demande de son père, mais Valentine ne le reconnait plus. On l’éloigne, et il n’assistera pas aux obsèques. Il sait cependant qu’elle a été ensevelie dans sa robe de communiante, et cette image l’obsèdera toute sa vie. Il gardera de cet événement tragique l’horreur des départs, des séparations.
Son père tombe rapidement malade, et meurt à son tour en 1907. La « campagne » est désertée, et sera vendue avec tout ce qu’elle contient « à un marchand de coquillages du Cours Belsunce », qui aurait arraché les arbres, le potager et les fleurs pour planter des vignes…
Chapitre 5 : Le Fauteuil d’Eugène Montfort (28 février 1926)
Si Eugène Montfort était une personnalité en 1926, il ne reste plus grand chose de sa notoriété aujourd’hui, mais « son » fauteuil est toujours présent dans le salon de la maison familiale.
Ce chapitre raconte une histoire assez amusante, d’une relation compliquée entre un écrivain, dont Pierre Coutras aimerait obtenir la reconnaissance en tant qu’écrivain lui-même, mais dont il devient l’avocat, statut qu’il gardera jusqu’au bout de l’histoire.
photographie du fauteuil à venir
Chapitre 6 : Mon Escalier (28 avril 1927)
Voici un chapitre qui parlera à ceux qui connaissent cet escalier… Ce n’est pas un escalier comme les autres.
Ses marches hautes et inégales, dont certaines penchent vers l’avant, en font un accessoire bien éloigné des standards actuels de confort et de sécurité.
Mais il nous parle, par ce qu’il est, par les tableaux qui habillent ses murs, par les souvenirs d’enfants que nous avons été, assis sur les marches, la tête contre les barreaux de la rampe, à écouter « les grandes personnes » réunies en bas un soir de Noël, par exemple…
Chapitre 7 : Mon Capharnaüm (1er décembre 1927)
Ce Capharnaüm n’est pas celui que ma génération a connu, et connait encore, situé au dernier étage de la maison familiale.
Le premier Capharnaüm est une grande pièce située au dessus du garage, à laquelle on accède plus par une échelle que par un escalier, aujourd’hui emplie de souvenirs.
Mais pratiquement tout ce que Pierre Coutras décrit dans ce chapitre a migré vers le second Capharnaüm. En tout cas, entre ces deux pièces, on retrouve tous les objets décrits.
Objets supports de souvenirs des êtres chers et perdus, comme toujours, son père, sa petite sœur…
Chapitre 8 : Mon Chapeau (22 juin 1927)
Mais oui, il est possible de parler pendant 7 pages d’un chapeau !
Encore plus remarquable, ce chapeau, acheté « en 1913 à Saint Chamas pour 3 francs » existe toujours, comme en témoigne la photo ci-dessous, prise en 2024.
Comme il est dit dans le livre, il a même été caricaturé, la preuve ci-contre !
Chapitre 9 : Le Fromentail (10 août 1927)
Ce texte, beau chant d’amour de Pierre Coutras à « Ses Terres » du Pompidou, a été également publié dans « l’Anthologie Lozérienne » de 1948.
Nous proposons un scan de cette Anthologie ci-dessous, le texte n’est pas tout à fait identique à celui des « Piquants du Marron ».
Chapitre 10 : Mon Manuel de Piété
« Manuel de Piété à l’usage de la jeunesse » […] « Douzième édition, approuvée par Mgr l’Evêque de Marseille » […] « Marseille. Imprimerie Marseillaise, rue Sainte, 39. » « Voilà qui est bon : une école marseillaise employant un livre marseillais »
En feuilletant ce livre, reçu au Sacré-Cœur en 1898, et estampillé « numéro 120 » (Qu’est-il devenu ?) Pierre Coutras retrouve ses souvenirs d’école, puis retrace son parcours religieux, souvenirs des offices, des communions… et renie sa période occultiste…
Chapitre 11 : Mes Lunettes d’Auto
C’est le titre dans la table des matières, car le chapitre dans le livre s’intitule simplement : « Mes lunettes ».
Au travers de ces lunettes, Pierre Coutras a vu beaucoup de choses : les paysages de la France (les plus beaux du monde !), la psychologie des autres conducteurs, les ouvrages d’art, le poids des contrôles de police, de la paperasse, du Code de la Route… nouvelle occasion de vitupérer !
Puis le ton change, pour expliquer qu’il ne voit pas la nécessité de quitter la France, mais aussi, et surtout, qu’il ne le fait pas car il ne supporte pas les départs, les séparations… et il livre ici à nouveau son angoisse de la perte et de la mort.
Chapitre 12 : La Clé de Nickel (8 novembre 1927)
Voilà un chapitre fort interpellant… L’histoire qu’il raconte « colle » merveilleusement bien à ce que l’on connait de Pierre Coutras, mais rien ni personne ne vient confirmer la véracité de ce récit, au contraire…
Alors ? Que ferait cette fiction au milieu de tous ces souvenirs authentiques ?
Et au bout du compte, quelle importance ? L’idée est plaisante, je n’en dis pas plus !
C’est aussi une ode à Paris, ce qui nous sort un peu de Marseille…
Chapitre 13 : Mes Reliques (16 juin 1928)
Voici le fourre-tout pour tout ce qui n’a pas été décrit auparavant ! Nous y trouvons :
– Son petit lit d’enfant (fabriqué par son père)
– La corbeille à ouvrage de sa mère
– Le livre de bord de son grand-père
– La robe (d’avocat !) de son père, « achetée pour 75 francs; le 23 novembre 1870 chez M. Jullien, chapelier, à Aix en Provence… » et portée par Joseph jusqu’en 1903. Pierre lui même la portera à partir de 1911.
– Le coffret à parchemins, coffret d’or à glaces biseautées contenant les documents précieux…
– Les reliques de sa sœur
– Les petites lettres de l’amie : ici se déroule un inventaire à la Prévert, sur plusieurs pages, et une conclusion contradictoire : tous ces objets, porteurs du passé, de souvenirs, donnent bien du bonheur, mais sont aussi un poids, d’autant plus lourd que l’on ne pourra pas les emporter lors du dernier départ…
Le livre se termine (16 juin 1928) sur l’annonce d’un prochain roman à venir : « Mes chimères dans mon ciel »… qui ne viendra qu’en 1966, sous le titre définitif de « Chimères dans mon ciel ».
Je sème ici un Arcane Majeur du Tarot de Marseille, c’est le troisième pour le moment, cherchez les autres…
Contrairement à ce que croient certains, l’Arcane XIII du Tarot de Marseille ne s’appelle pas « La Mort », mais « La Sans-Nom ». C’est le seul Arcane Majeur qui ne comporte qu’un numéro, et pas de nom.
On ne doit pas redouter cette carte, qui ne symbolise pas une fin, mais une transformation.
Elle me semble bienvenue ici, pour conclure un livre en 13 chapitres, livre destiné à ancrer pour l’éternité les souvenirs d’un homme parti lui-même sur un autre chemin, après un passage éphémère…