Pierre Coutras, mon grand-père, par Catherine.

Catherine Corazza, fille de Jeanne Coutras, fille de Pierre

Notre relation était un peu plus privilégiée puisque nous habitions la même maison, cette maison achetée par son grand père Valentin, capitaine au long cours, en tendant deux ficelles en diagonale sur le plan du Marseille de l’époque. Il disait avoir acheté pile à leur croisement, au cœur de Marseille ; et mon Papou s’amusait d’avoir eu plusieurs adresses différentes dans sa vie, sans avoir jamais déménagé. Cela était du aux caprices des municipalités qui rebaptisaient les rues … Je ne me souviens que de la rue Reinard, la dernière en date qu’il citait souvent, mais il y en avait eu d’autres …

Claude, Catherine, Martine et Jean-Pierre devant la Rolls-Royce III
Claude, Catherine, Martine et Jean-Pierre devant la Rolls-Royce III au Castanier

Dans mon enfance, mon grand-père et ma grand-mère (Papou et Mamie) occupaient le rez-de-chaussée et le premier étage. Ils y recevaient leurs amis, dans un salon bourgeois, et les repas de fête se passaient chez eux.
Nous habitions le second, Martine et moi partagions une petite chambre, avec des lits superposés.
Quand Bernadette s’annonça, Papou a accepté de se défaire de la moitié de son grand « capharnaüm » et nous avons eu chacune une grande chambre au troisième.

Son « capharnaüm » : initialement tout un étage de la maison, le dernier, tout peint en rouge, du sol au plafond, avec des formules cabalistiques écrites sur les poutres ! Des livres partout, anciens, vermoulus, poussiéreux, des caisses de lait Nestlé servaient de rayonnages.

Le Capharnaüm
Le Capharnaüm

Au milieu, lui servant de bureau, un cercueil, avec un squelette dedans (un vrai, en os). Et des malles aux mille trésors, malles de marins, malles de bois, malles de fer, des « cantines » peintes en rouge également …

Il a donc accepté de se défaire de cet espace qui lui était précieux pour que nous puissions avoir nos aises. Cher Papou ! Il était prêt à toutes les concessions pour que « Jeannette » ne parte pas vivre loin de lui.

Papou était l’âme de la maison, c’est lui qui remontait les pendules, qui chargeait et curait le poêle à charbon … Ce poêle, installé au bas de la cage d’escalier, avait pour devoir de chauffer toute la maison … mais, bien que la chaleur monte, au troisième, il ne faisait pas chaud et nous nous déshabillions quelque fois en claquant des dents !
Lorsque je partais pour l’école, le matin, je m’arrêtais dans sa chambre pour l’embrasser ; Il était encore dans son lit, et cela le ravissait de me donner sa bénédiction pour la journée.

Comme dans l’ancien temps, le « cabinet de toilette » de mes grands-parents n’avait pas de douche. Papou se lavait avec un gant de toilette, se brossait les dents avec du bicarbonate de soude, se coiffait avec un peigne avec du coton au fond des dents.
(J’y ai toujours vu un poudrier en carton avec des violettes, et de l’eau de toilette…).
Le soir quand je rentrais, je le trouvais souvent à son bureau, et il me racontait les romans qu’il préparait (Chimères dans mon ciel, Mensonges …). Il y parlait de moi, et me ramenait des cadeaux somptueux de ses voyages imaginaires !

Pierre Coutras dans son  bureau en 1962
Pierre Coutras dans son bureau en 1962

Tels des coucous, nous avons ensuite investi le rez-de-chaussée, et Papou et Mamie sont montés au second. !
Papa a fait installer le chauffage central, et nous avons regroupé les chambres au premier étage, avec salle de bains, WC … la modernité …

Jean-Louis Martine Catherine et Françoise
Jean-Louis, Martine, Catherine et Françoise

Les cigales et la Rolls
Une fois, il descendit ses petits-enfants (Jean-Louis, Martine et Catherine) du Castanier, en Rolls Royce.
Lors d’un arrêt pipi, nous avons ramassé des cigales et les avons enfermées dans les miroirs de courtoisie (munis d’une porte donnant sur un renfoncement).
Ayant repris la route, nous avons ouvert aux cigales qui se sont envolées en pissant sur la peau de chamois des sièges de la voiture de luxe… rien qui n’entame la bonne humeur de notre Papou qui riait autant que nous et chantait à tue-tête, avec nous !

Jamais un reproche, jamais une brimade, nous étions parfaits à ses yeux, et tout ce que nous faisions était bien, beau, réussi …

Justice :
Pierre Coutras, en tant qu’avocat, connaissait bien les limites de la « Justice », et lorsqu’il allait plaider il disait qu’il se rendait au « Palais des injustices ». Et je l’ai toujours entendu seriner qu’ « il vaut mieux un mauvais arrangement qu’un bon procès »… et j’en reste persuadée !

Mœurs :
Né à la fin du XIXème siècle, il avait vécu un changement de comportement radical de la société notamment dans l’éducation des enfants, et c’était avec beaucoup de lucidité mais sans amertume qu’il disait : « Lorsque j’étais enfant on me disait : – Laisse le meilleur morceau pour le grand père !
Maintenant que je suis arrière grand père, on me dit : – Laisse le meilleur morceau pour le petit ! »
Et c’est tellement vrai !

Terrrminé !
Papou aimait toutes les nouveautés technologiques et acheta plusieurs exemplaires de petits magnétophones à cassettes. Nous jouions à nous faire des interviews entre nous, comme le font les journalistes, et nous l’arrêtions en criant « terrrminé ». Cela l’amusait beaucoup ! … et nous aussi !

Il disait que Bernadette ne disait jamais de bêtises et il éteignait la télé aussitôt qu’elle apparaissait pour l’écouter parler. Avec le recul, je crois qu’elle apprécie de plus en plus cette délicatesse qui est si rare de nos jours !

Madame Derrière:
Comme cela se faisait encore au début du XXème siècle dans la bourgeoisie, le 1er et le 3eme mercredi de chaque mois, Madame COUTRAS tenait salon, ainsi que l’évoque le témoignage de Danielle.
Ce jour-là on préparait gâteaux secs et service à thé, et on attendait les éventuelles visites, famille ou amis. On bavardait gaiement durant l’après-midi, quelquefois avec 3 ou 4 convives, ou plus. Quelques rares fois, il ne venait personne.
Papou disait alors en rangeant les biscuits : – « Nous avons fait Madame Derrière » !
Mais d’où venait cette expression ?
Une relation à eux, un personnage connu de l’époque ?
J’ai voulu voir si le WEB pouvait m’aider, apparemment non, je n’y ai trouvé que des explications dignes du Kamasutra !
J’ai interrogé Maman et il apparaît que cette dame qui s’appelait en fait Madame Derrien, mais que, facétieux, Papou avait renommée Mme Derrière, était une amie de Madame Coutras Mère. Elle avait dû évoquer une fois où son salon était resté vide, et de là était née l’expression familiale …
Parmi les plus assidus à ces visites du mercredi, je me souviens notamment de Denise Campestre qui était, je crois, la filleule de Papou, de Simone Lando (marraine de Véronique) et sa mère, de Fernand Mestrallet, sa sœur Josette et Hippolyte Arnaud (cousin de Coutras), de Laure Basque (poétesse et voisine), Mademoiselle Petit (qui fut mon professeur de piano), les demoiselles Castanier, deux sœurs qui tenaient autrefois l’école Maintenon et qui ont vendu leurs locaux du 34 rue Auguste Blanqui à Max Escalon

Cadeaux
C’est lui qui m’a offert mon premier (et seul) cyclomoteur, à 14 ans : un P50 Honda rouge et blanc avec le moteur sur la roue arrière. Quelle liberté !
Il m’a aussi offert sa dernière 2CV, lorsque je me suis mariée, ce fut notre premier véhicule.
Nos grands-parents ne nous faisaient pas de cadeaux à Noël, réservé aux parents, mais pour le 1er de l’an nous avions des « étrennes » qui pouvaient aller jusqu’à une bicyclette … et vers la fin n’étaient plus qu’une pièce de 5 Francs.

Qui est-ce ?
J’étais adolescente, et les amis qui me téléphonaient, en mon absence, tombaient sur Papou.
Il voulait dénoncer le fait qu’ils ne se présentaient pas, ne se nommaient pas, et malicieusement me disait :
« Un jeune homme (ou une jeune fille) a appelé pour toi. Qui est ce, tu le sais ? »
Je n’avais pas sa finesse et cette remarque m’énervais :
« Mais comment veux tu que je sache si tu n’as pas demandé qui c’était ? »

Me voici !
D’autres ont déjà parlé du lait Nestlé et de la Ricoré avec le pain coupé au sécateur. Nous adorions déjeuner avec lui et l’imiter, faisant tenir la cuillère dans le pain trempé (un peu indigeste) ! Parfois nous goûtions le mélange sucré avant de rajouter l’eau chaude, un peu trop, et notre déjeuner n’avait plus de goût, ou alors nous n’arrivions pas à finir notre bol bourré de pain…
De ses entrées théâtrales imitant Méphisto, au sortir de sa chambre, au Castanier :
« Me voici !
D’où vient ta surprise ?
Ne suis-je pas mis à ta guise ?
L’épée au côté, la plume au chapeau,
L’escarcelle pleine,
Un riche manteau sur l’épaule,
En somme un vrai gentilhoooomme. »
Il finissait avec le « Va-t-en !» de Faust, d’une petite voix ridicule. Je l’entends encore !!!!

Danger Vipères
Il savait être très accueillant, mais il avait la « propriété agressive » et lorsqu’un touriste venait s’arrêter sous la voûte du Castanier : « Oui, vous pouvez rester là, si vous ne craigniez pas qu’il y ait une nouvelle affaire Dominici » ou alors « Je n’ai pas fait 200 km pour avoir un « globule » garé devant ma porte ! »
Pour dissuader les automobilistes de s’arrêter autour de sa propriété, il avait peint de grands panneaux « danger vipères ». Cela était bien plus efficace que n’importe quel interdit !

Le Mas du Lapin Blanc et Jeannette
Le Mas du Lapin Blanc et Jeannette

Le Mas du lapin blanc
Dans sa « campagne » du « Petit Prignon », Papou avait construit pour sa fille Jeanne « Le Mas du lapin blanc » une vraie petite maison de briques avec 2 pièces, une cave, un grenier, des planchers en bois, et une « cheminée en chocolat » !
Bien sûr, elle n’avait du chocolat que la couleur, et nous pouvions y faire du feu : quel bonheur !

Maison d'enfant poème de Suzanne Rocheblave
« Maison d’enfant » poème de Suzanne Rocheblave-Coutras, recopié par Pierre.
« A Jeannette pour l’inauguration de sa maison » 5 mars 1940

Jeanne ayant grandi, la deuxième génération avait hérité de la petite maison. C’était notre repère, notre territoire, notre maison !

Le Mas du Lapin Blanc 1942
Le Mas du Lapin Blanc en 1942

Il y avait une autre cheminée, en angle, dans l’autre pièce, « la cuisine ». La cave était creusée dans la terre, en forme de souterrain, et reliait les deux pièces. C’était un endroit mystérieux, peuplé d’araignées et de scorpions … Dans le grenier, l’été, il faisait une chaleur étouffante, et le plancher était jonché de chatons de pin desséchés qui s’infiltraient à travers les tuiles. Nous n’y tenions pas droits, nous n’y allions pas trop non plus : … les araignées …

Jean-Louis Martine Catherine et Françoise
Jean-Louis Martine Catherine et Françoise au Castanier

A mi-chemin entre la maison principale du «Prignon » et le « Mas du Lapin Blanc », en haut de l’allée « Monte au Pati » Papou avait installé une cabane en Everite pourvue d’un cabinet à deux places.
C’était une tranchée dans la terre, avec un habillage en planches, et deux trous, fermés par des couvercles en bois. En pleine nature, l’endroit était aussi squatté par les araignées … aussi appréciions nous de pouvoir aller faire nos besoins à deux, mieux armés, ainsi, pour lutter contre l’adversité !

Cabinet à 2 places
Cabinet à 2 places… ce n’est pas « le vrai », mais c’est bien l’idée ! L’original fut sur le tard décoré en temple Egyptien par Jack Maupas, un des gendres de Papou.

« Papou a tout »
Dans nos bricolages enfantins, nous avions souvent besoin d’un fil de fer, d’un clou, d’un bout de bois ou de carton … Nous allions voir Papou qui nous trouvait ça aussitôt, et il se « gargarisait » devant notre bonheur : « Papou a tout » nous serinait-il. C’était vrai, et c’était merveilleux !

D’autre souvenirs me reviendront, pêle-mêle, je vous livre déjà ceci, à vous qui les avez peut-être partagés … livrez nous les vôtres !