Poèmes
Moins prolixe que Pierre, son époux, Suzanne écrit de fort jolis poèmes.
Ici, celui écrit pour l’inauguration du « Mas du Lapin Blanc », véritable petite maison, en briques, construite par Pierre pour leur fille Jeanne en 1940.
Maison d’enfant
A Jeannette, pour l’inauguration de sa « maison », 5 mars 1940
Ami, qui vient voir en ces lieux
Cette maisonnette rustique,
Ressens-tu le charme mystique
Qui s’en dégage et vous émeut ?
Cette maison t’est sympathique,
Je le vois à ton air rieur ;
Mais ce grand bloc inesthétique
Te surprend, te laisse rêveur.
Sur les murs, le toit, sur le faîte,
Tu poses ton œil scrutateur,
Tu dis en remuant la tête :
« C’est le travail d’un amateur ! »
Non ! Crois-moi, tu fais fausse route !
Ce monument qui tour à tour
Te transporte et puis te déroute,
Ami, c’est un acte d’amour.
Ce toit qui de côté s’incline,
Est-ce un défaut, quoique charmant ?
Non, c’est une tête câline
S’appuyant sur un front d’enfant.
Dans ces angles qui trop avancent,
Ne vois-tu pas le mouvement
De deux bras musclés qui s’élancent
Pour un pieux enlacement ?
C’est le plus tendre amour d’un père
Qui fit pour l’enfant qu’il chérit
Cette demeure sans mystère,
Où tout rayonne, où tout sourit.
Pétrissant de sa main agile
Plâtre, dur ciment et mortier,
Retrouvant dans son geste habile,
Le secret des gens du métier.
Travaillant sans répit ni trêve,
Par le fait de sa volonté,
Il changea le fragile rêve
D’une enfant en réalité.
Pour que sa jeunesse bruyante
Puisse s’épanouir sans heurt
Loin de la menace effrayante
Qui pourrait troubler son bonheur.
Dans la clarté qui l’auréole
Comme un nimbe d’or irréel
Cette maison est le symbole
D’un touchant amour paternel.
Sur la fin d’un berceau
18 novembre 1947
Ouvrage délicat par nos anciens tressé
Que nos mains ont orné le cœur plein d’espérance
Dans l’anxieux émoi d’une proche naissance
Te voilà maintenant un objet délaissé.
Tu fus coquet jadis, ta discrète élégance
Et ta stabilité inspiraient confiance
Quand la mère tendant ses bras avec douceur
Déposait son trésor dans tes flancs protecteurs.
Les enfants ont grandi, ils sont devenus sages,
Mais les ans ont sur toi exercé leurs ravages.
Tu ne peux plus servir, tu deviens encombrant
Défraichi tu n’es plus bon que pour les encans.
Pour toi, plus noblement, c’est de la pure flamme
Que dans un rayon d’or s’envolera ton âme.
Mais avant de te voir à jamais disparaître
Je voudrais te nommer tous ceux que tu vis naître.
Mais non, tu les connais, cette réminiscence
Cruelle ne ferait qu’aviver ta souffrance
Sans rien changer hélas ! à ton triste destin
Il faut se résigner, quand arrive la fin.
Je tremble en te livrant à la flamme meurtrière
Et soudain un regret alourdit ma paupière
Car j’ai senti glisser sur mes membres frileux
Ton ultime chaleur, comme un dernier adieu.
Adieu petit berceau, cher souvenir, adieu !