Poèmes hors recueils

Publiés format carte postale
Le crâne
Quietude
Hier
Demain
L’ailloli
Ma moto
Le C O A
L’auxiliaire
Mauvaises routes
La vitesse

Le Castanier
Le Fantôme du Castanier
Le petit propriétaire
Mis en musique
Aux Soldats Aveugles
Autres
Notre chat
L’horloge
Au château de Moissac
Le printemps

LE CRANE

Immobile, mat et blafard,
Le crâne montre sa courbure
Sans peau, sans nez et sans regard,
Sans oreilles, sans chevelure.
Devant cette surface dure,
On se sent pénétré d’horreur :
Instinctivement, l’on conjure
Ce morceau d’os plein de laideur.
C’est un sinistre cauchemar,
Une redoutable aventure
Que de voir un crâne camard,
La nuit, dans une chambre obscure,
Se dresser dans une encoignure.
C’est un symbole de malheur,
Présage de mauvais augure,
Ce morceau d’os plein de laideur.
Le crâne par son air hagard
Et par sa macabre structure
Evoque en nous le corbillard,
Le drap d’argent et la tenture.
On sent même la pourriture
Dans son épouvantable odeur :
Il demande une sépulture,
Ce morceau d’os plein de laideur.
ENVOI
Malgré cette noire peinture,
Crâne, tu ne me fais pas peur,
Car j’ai derrière ma figure
Ce morceau d’os plein de laideur.

QUIÉTUDE

Rentré dans mon manoir, demeure médiévale,
Où je trouve toujours un somptueux accueil,
Ayant laissé la neige et le vent sur le seuil,
J’ai ranimé le feu pour éclairer la salle.
Je me suis étendu dans le vaste fauteuil,
Et la flamme, en montant vers la voûte ogivale,
Fait scintiller les fers de l’armure comtale
Et danser un fantôme autour du vieux cercueil.
Devant la cheminée où la braise s’étale,
Le grand lévrier blanc, allongé sur la dalle,
Sommeillant à demi, me regarde d’un œil.
Sous la bonne chaleur, en cette heure hiémale,
Je lis des vers anciens dans un poudreux recueil,
En fumant lentement ma pipe orientale.

HIER

HIER, c’est la première étape du passé ;
C’est le premier repos du temps dans son voyage ;
C’est encore un lambeau de la vie effacé,
Et c’est un jour de plus qui s’ajoute à notre âge.
HIER, c’est un remords parfois au cœur placé ;
C’est un pli de douleur crispant notre visage ;
Ou bien, c’est un éclair par le bonheur tracé.
Mais si bref qu’on ne peut en conserver l’image.
HIER jette l’oubli sur un sort malheureux ;
Ceux qu’il a consolés, ici-bas, sont nombreux !
Il calme la colère, il apaise la haine.
HIER, c’est la jeunesse au charmant souvenir ;
Temps de rêves, qu’hélas ! nous avons vu finir ;
HIER, c’est le pesant boulet qui nous enchaîne!

DEMAIN

DEMAIN ! Quel mot profond, sublime d’éloquence.
Toujours impénétrable à notre fier savoir !
Parole qui souvent signifie espérance,
Mais qui parfois, hélas ! veut dire désespoir !
0n désire DEMAIN, s’il est la récompense
De soucis, de travaux : en rose on croit le voir.
On redoute DEMAIN, s’il est la conséquence
De gestes malheureux ; alors il paraît noir.
Le DEMAIN qu’on souhaite est lent dans sa venue:
Mais celui que l’on craint précipite ses pas ;
Ils arrivent tous deux : le temps ne chôme pas.
Pour le jeune garçon, DEMAIN, il faut grandir ;
Pour l’homme, travailler ; pour le vieillard, mourir ;
Pour tous, DEMAIN, c’est la douleur qui continue !

L’AILLOLI

Dans un mortier luisant, à la teinte jaunâtre,
Avec le vieux pilon manié vivement,
Grand’mère écrase l’ail, en gousses, trois ou quatre ;
Elle ajoute d’un œuf le jaune, à ce moment.
Puis, inclinant l’huilier sur le vase d’albâtre,
Tandis qu’un filet blond s’écoule lentement,
Elle tourne en silence. A côté, près de l’âtre,
Une marmite bout, sur un feu de sarment.
Dans ses flancs rebondis des légumes cuisent.
Grand’mère tourne encore, et l’ailloli durcit.
Elle tourne toujours : les appétits s’aiguisent.
Elle s’arrête enfin, en criant : « Réussi ! »
On s’en met jusqu’au cou ; la famille jubile ;
Tout le monde sent l’ail, et mon sonnet sent l’huile.

MA MOTO

Est-elle un véhicule ? Est-elle un animal ?
Vient-elle de l’Enfer ? Pour moi qui suis Poète,
C’est un beau palefroi, rapide et triomphal,
Que je conduis, le casque en acier sur la tête.

Crispé sur le corps dur de mon cheval-machine,
J’écoute le moteur qui sonne fort et clair ;
Relevant les genoux, je courbe mon échine
Pour résister aux chocs et pénétrer dans l’air.

Bientôt je ne sens plus qui j’étais, qui j’aimais.
Je méprise la Vie. . . ou la Mort, je ne sais. ..
En ne pensant à rien, je vire et je me penche. . .

Tout en suivant des yeux le décor agité
Qui défile en sifflant dessus et de côté,
J’ai le regard fixé sur une aiguille blanche.

LE « C. 0. A. »

Sur le Front de l’armée où sévit la bataille,
L’envié « C. 0. A. » méprisant le danger,
Sans trêve, sans répit, nuit et jour ravitaille :
La plus vaillante troupe a besoin de manger.

L’obus brutal qui siffle, arrive, éclate et taille
En tombant près de lui, ne le fait pas changer
De chemin. Des poilus il possède la taille
Puisque même la Mort ne peut le déranger.

Sur la route sans fin que bat l’artillerie,
Au froid et dans la boue, il songe au temps jadis,
A Celle qui l’attend, là-bas, seule au logis…

Parfois son cœur aspire au Bonheur évoqué,
Mais c’est en souriant qu’il meurt pour la Patrie
Est-ce donc un Héros ? Non, c’est un Embusqué !

L’AUXILIAIRE

Malade, il est vraiment : tous les majors l’ont dit,
Et le disent encor lorsque, chaque semaine,
I1 passe devant eux, malingre, décrépit.
Vous êtes moribond ? Vous avez de la veine !

Lui glissent ses amis en le félicitant…
Tout le jour enfermé dans une étroite pièce,
Ecrivant, sans jamais s’arrêter un instant,
Au grand air, au soleil, il songe avec tristesse,

Mais il n’en parle pas, car on lui répondrait :
Vous êtes bien heureux ! Songez donc aux tranchées !
Il a de vieux habits plus vieux qu’il ne voudrait,
Mais il ne se plaint pas des étoffes tachées :

On n’habille de neuf qu’au départ pour le front !
Il doit tout supporter et souffrir en silence,
Pour ne pas s’attirer l’inévitable affront
Si nous n’avions que vous, que deviendrait la France ?

Et cependant pour Elle, il double son effort.
Sans but de croix de guerre et sans espoir de grade,
Son dévouement obscur ira jusqu’à la mort :
Vaillants, « Service Armé », saluez ce malade !

AUX SOLDATS AVEUGLES

Poème mis en musique par Marie-Thérèse Bonhomme, partition publiée par la compositrice en 1922.
Partition complète sur le site de la BNF.

Hommage à Auguste Mahuet et Louis Boivin
Morts pour la France

O vous qui sans trembler avez fixé la mort
Avant d’être plongés dans la nuit éternelle
On ne peut sans pleurer penser à votre sort
Oh vous soldats martyrs d’une guerre cruelle.
De tous les grands blessés revenus de là-bas
Vous êtes les plus beaux ; ceux qui pour la patrie
Avez le plus donné. Nous ne l’oublions pas.
Nous voulons vous aimer avec idolâtrie.
Vous avez défendu la France maintenant
Elle sait qu’à son tour Elle doit vous défendre
Toujours à vos côtés, debout vous soutenant.
Elle sera pour vous une Mère très tendre.
Vous n’apercevrez plus ni haine ni laideur ;
De votre dur chemin nous ôterons les pierres
Petits enfants meurtris Vous vivrez par le cœur
Vous ne sentirez plus que l’amour de vos frères,
Cet amour fraternel dont on doit vous combler
Sera pour vous toujours le prix de la souffrance
Et quel bonheur pour nous s’il doit vous consoler
O vous les plus sacrés des grands blessés de France.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Le Castanier carte poème
Le Castanier carte poème
Le Fantome du Castanier carte poème
Le Fantôme du Castanier carte poème

NOTRE CHAT.

Méphisto, c’est son nom et noire est sa couleur.

Ii possède un regard flamboyant, diabolique,
Lancé par deux yeux ronds, verdâtres, qui font peur,
Ses membres sont trapus, sa démarche élastique.
Son poil est ondoyant, superbe de longueur.
Sa queue est un panache, un plumet magnifique,
et quand il la relève il montre sans pudeur
Un point blanc sur fond noir : Voila pour le- physique.
Au moral c’est un chat come les autres chats,
Amateur de poisson, de fromage et de rats,
Pour l’un de ces régals il fait mainte bassesse.
Un rien le contrarie, il s’amuse d’un rien,
II fait tout ce qu’il veut : plus de mal que de bien.
On le punit parfois, toujours on 1e caresse.

21 Avril 1914

L’HORLOGE

On la voit se dresser dans la vieille cuisine
Dont les murs sont noircis par les grands feux de bois,
Tout près de l’escalier, elle est là, la voisine
Du pétrin poussiéreux aux senteurs d’autrefois.

Sa caisse est en noyer, d’une couleur austère,
Très haute, toute droite en son triple panneau,
Sa vitre est enfumée et son cadran sévère
Rappelle la splendeur d’un antique tableau.

Son brillant balancier, au tic-tac implacable
Symbole impressionnant de régularité
Annonce a chaque coup, d’un choc irrévocable,
Qu’une seconde encore est dans l’éternité.

La nuit comme le jour, un lourd marteau qui tremble,
Frappe de temps en temps sur un timbre d’airain,
Le son qui s’en échappe est si grêle qu’il semble
Descendre du clocher d’un village lointain.

Dans les joyeux ébats des fêtes de famille,
Dans les chagrins profonds que traine le malheur,
De l’horloge toujours une impassible aiguille
Marque indifféremment la gaité, la douleur.

1914

AU CHATEAU DE MOISSAC

Ô château de Moissac, témoin de tant de guerres
De crimes : Trahisons, batailles, adultères,
Tu dresses dans le ciel le squelette hardi
De murs démantelés, sous un donjon verdi !
Dans la salle d’honneur, des arbres ont grandi
L’escalier, dans le mur, est presque démoli,
Les ronces ont fermé l’encadrement des portes,
Les genêts ont comblé les oubliettes mortes…
Le noble chevalier, languissant au cachot,
Est mort depuis longtemps, ne laissant aucun os…
A Moissac, Il n’y a que corbeaux et corneilles,
Peut-être, dans un coin, une ruche d’abeilles…
De ma terrasse, je regarde ce fantôme
Où dansaient autrefois, d’après l’abbe Brantome,
Dans les salons dorés, celles qu’il appela,
Dames du temps jadis, galantes jusque-là,
Et je les vois, avec les sorciers d’autrefois
Dans les caveaux comblés par les tuiles des toits,
Pendant la nuit, sauter en rond sur les orties…
Vieux château féodal, on n’y dit plus de messes,
Dans ce haut-lieu, plus de profanation d’hosties,
L’autel a disparu, tout n’y est que tristesses…
Parfois un aigle plane au-dessus de ces pierres
Regardant un serpent dans l’entrelacs des lierres
Pour fondre de son ciel sur l’animal maudit
Qui dormait, enroulé, dans le fond de son nid…
Depuis plus de trente ans, je regarde ces ruines :
Elles n’ont pas vieilli, mais moi j’ai bien changé…
Quand j’aurai disparu, le soir, dans les bruines,
Le château de Moissac restera ce qu’il est !…

Fait au Castanier le 7 août 1968

LE PRINTEMPS

Soudain l’air est plus chaud et le ciel est plus bleu.
La voix donne, dehors, une note nouvelle.
Près de la cheminée, on ne fait plus de feu :
C’est le printemps, le vrai, celui des hirondelles.

Le pré devient très vert, et les chemins un peu.
L’amandier, tout fleuri, ne craint plus qu’il ne gèle.
Le bourgeon du tilleul s’ouvre par le milieu,
Et bientôt, au soleil, on cherchera l’ombrelle.

La première grenouille a chanté dans l’étang,
Sur les premiers lilas vole un papillon blanc,
Une guêpe construit son petit nid fragile

Les pois, les haricots grimpent à leurs bâtons,
On va faire couver, et tondre les moutons…
Nous, nous n’avons rien vu : Nous habitons la ville…

1945

Le petit propriétaire carte poème
Le petit propriétaire carte poème