L’Araignade, poèmes héroï-comiques, 1918

Dans ce recueil de 18 poèmes, publié en 1918, Pierre Coutras parodie de grands textes classiques, et nous incite à un peu plus de compassion et de considération pour les malheureux insectes qui cherchent abri dans nos logis.

La première page héberge une citation de l’ami Frédéric Douville : « Souvent, celui qui gratifie son voisin d’une araignée, a dans son crâne un gros cafard. »

Elle annonce également une préface de Jean de la Fontaine, qui nous est livrée page suivante : « La raison du plus fort est toujours la meilleure », Jean de la Fontaine, de l’Académie Française, Paris, le 16 décembre 1684.

L’Araignade
Invocation
L’Homme
Air de Chasse
Les imprécations d’une Araignée
Quatrains
Ode au Pou
Le Songe
Ecrase bien et laisse dire !
Le Plafond
Ballade
Tirade de l’Araignée
Non, merci !
Sonnet
Ode à l’Araignée
Vive la Nuit !
Epithalame
Les Adieux de Fontainebleau
Exemplaire relié contenant Les poèmes du chauffeur, l’Araignade et La question des loyers.

L’ARAIGNADE

Je chante les combats acharnés et terribles,
Les assauts sans merci, les batailles horribles,
Cette guerre éternelle, en un mot, sans pitié,
Dans laquelle la Science aide l’Inimitié,
Et que l’Homme orgueilleux livre… non pas à l’Homme,
Celle-là me paraît trop ridicule, en somme ;
Non pas au Carnassier ; et non pas à l’Oiseau,
Qu’il soit puissant rapace ou frêle passereau ;
Non pas à la Souffrance, implacable maîtresse
Qui déchire le cœur de sa longue caresse ;
Non pas au Vice infâme et ses troublants appas ;
Non pas au Crime avec son armée ; et non pas
A ce fléau mortel : la Maladie infecte ;
Mais…à l’Insecte !

A l’insecte petit, faible, mince et fluet,
Invisible parfois, craintif, toujours muet ;
Avec cela, joli, d’une beauté fragile,
Souple, fringant, coquet, le plus souvent agile.

Je chante les combats terribles, acharnés,
Que l’homme, ce géant aux instincts raffinés,
A la saine raison, livre à la bestiole
Qui nage ou saute ou court, qui rampe ou glisse ou vole,
Sur le sol ou dans l’eau, sous la terre ou dans l’air :
A la puce, au cloporte, au cancrelat, au ver,
A la mouche… du coche, à la luisante blatte,
Au pou national, à la punaise plate,
A la mite poudreuse, au moustique têtu,
A la guêpe élégante, au scorpion tortu,
A celle qui surtout doit être désignée :
A l’araignée !

INVOCATION

O Muse, évoque-moi la farouche Vengeance,
Aux poings, aux dents serrées, aux regards fulgurants,
Et toutes les noirceurs de cette même engeance
La Cruauté terrible, aux actes déchirants ;
La Rage et son écume ; et la Férocité,
Tuant pour le plaisir ; l’Insensibilité
Qui sourit bêtement, en perpétrant le crime,
Pensant que l’Animal ne souffre que par frime ;
L’Injustice qui croit toujours avoir raison ;
Le Préjugé têtu, ce dangereux poison
Qui pousse à massacrer les insectes utiles ;
L’Habitude, féconde en manies imbéci1es ;
La Peur irraisonnée; et les Répulsions
Pour la bête ; en un mot, toutes les Passions
Qui viennent agiter l’Homme, ce roi sans trône,
Dans la guerre qu’il livre, au nom de sa couronne,
Aux Insectes menus, ces pauvres ennemis
Que de faire souffrir il s’est toujours permis !

O Muse, soutiens moi, si parfois le courage
Me manque en décrivant ces scènes de carnage !

Céleste Vérité, descends de mon plafond ;
Montre-toi dans mes vers sans cet air pudibond
Qui t’incite à cacher ta figure si belle !
Déesse, apparais-moi, ne fais pas la rebelle !
Mes poèmes seront alors pleins de couleur ;
On verra les humains se cacher et attendre
De longues heures ; puis, bondir avec vigueur,
Frapper et mettre à mort, se dérober, descendre,
Les armes à la main ; se montrer satisfaits
Quand ils auront commis d’effroyables forfaits !
On verra les planchers dévastés, en alarmes,
L’inoffensive aragne abandonnée aux larmes,
Le cafard écrasé, la punaise à genoux,
La puce ignoblement ôtée à son époux !
On entendra les cris de toutes ces victimes,
Et les sinistres voix des instruments des crimes
Claquements de torchons, glissements de plumeaux,
Sifflements de balais, craquements d’escabeaux,
Grincements agaçants de gros soufflets à poudre
On entendra tomber aussi, comme la foudre,
Ces armes pour les nains : hautes têtes-de-loups
Aux rudes coups !
Mes poèmes seront des tableaux de batailles
Entre des animaux de différentes tailles !

L’HOMME

Le voyez-vous charger ? De l’arme meurtrière
Pour atteindre au plafond, il fait de grands efforts :
Les cafards monstrueux, de leurs pattes d’arrière,
Se protègent le corps.

Un coup manque parfois, mais l’autre, plein de rage,
Frappant un animal, provoque un nouveau deuil :
Cent autres se suivant font bientôt de l’étage
Un immense cercueil.

Regardez-le, guidant le manche aux bonds rapides,
Ecrasant sans pitié des masses d’arachnides ;
Là, soldat plein de cœur, maniant le balai ;
Là, chasseur jeune et fier, amaigri par les veilles
Qu’il passait au plafond, en faisant des merveilles,
Sous son bonnet crasseux, pâle, chauve et très laid.

Puis, général puissant à la face chagrine,
Livrant un grand combat au fond de sa cuisine ;
Entouré de balais au panache soyeux,
II brandit le plumeau, le torchon, l’araignoir,
Et produit sur les murs des mares de sang noir
Qu’il voit couler avec des éclairs dans les yeux.

Puis, pauvre malheureux qu’une puce tourmente,
II gratte des deux mains sa tête qui fermente,
En proie aux scorpions, aux cafards dégoûtants,
Vaincu, désespéré, le front noir d’acarides,
Projetant sous ses draps des flots d’insecticides
Qui ne servent que d’excitants.

Mais qu’il est grand surtout, quand, sa lance brisée
Des insectes vainqueurs misérable risée,
Dans sa cuvette sale il se lave les doigts,
Au vieux torchon pendu les essuie avec grâce,
Et fatigué, moulu, succombant, aux abois,
Se glisse dans son lit, au milieu de la crasse !

AIR DE CHASSE

A Monsieur ROBERT MORCHE,
Président de
l’Association des Littérateurs Indépendants.

Me voici revenu dans mon palais d’hiver,
Ver !
Je reprends mon étage, en avant la musique,
Moustique,
Et m’en vais nettoyer les chambres, sans retard,
Cafard!
Gare à tout ce qui pique, et gare à ce qui suce,
Puce !
Je n’épargne personne et fais rien à demi,
Fourmi!
Pendant deux mois entiers, j’étais à la campagne,
Aragne,
Vous avez profité de ce séjour très long,
Frelon,
Au plafond, au plancher, pour en prendre à votre aise,
Punaise !
Maintenant, c’est fini ! L’air m’a donné du ton,
Hanneton,
Et vos gestes d’effroi me rendent sanguinaire,
Galère,
Comme un Papou,
Pou,
Qui se régale,
Gale!
Ces insectes partout ont établi leurs nids.
Cynips !
Tout ça grouille et fourmille, à chaque instant j’en touche,
Mouche,
Aux murs, dans le placard, sur l’évier, sur le gril,
Négril !
J’en trouve de cachés jusque dans la marmite,
Mite !
D’autres sur les buffets, sur les lits, circulant,
Cerf-Volant,
Et sur le reste,
Bupreste !
En avez-vous commis des déprédations,
Papillons,
Scorpions,
Grillons,
Et fourmis-lions !
Hélas ! Partout je vois de dégoûtantes traces,
Limaces !
A moi, mes vieux balais ! Ah! que n’ai-je des ailes,
Coccinelles,
Pour attraper en l’air celui qui vole là,
Cancrelat !
A moi, le grand torchon, accroché sur la porte,
Cloporte!
A moi donc, l’appareil qui contient un paquet,
Criquet,
De poudre ! A moi surtout, la poudre insecticide,
Chrysalide!

LES IMPRÉCATIONS D’UNE ARAIGNÉE

(D’après CORNEILLE)

Homme, l’unique objet de mon ressentiment !
Homme, qui vient encor d’écraser mon amant !
Homme, qui se croit maître et n’est qu’un matamore !
Homme, oh ! que je hais, parce qu’il nous abhorre!
Puissent tous les cafards, ensemble conjurés,
Ronger ses vieux balais encor mal réparés !
Et si ce n’est assez de toutes les aragnes,
Que tous les scorpions descendent des campagnes !
Que mille poux unis, des bouts de l’univers,
Passent pour le piquer les fleuves et les mers !
Que lui-même sur soi versant l’insecticide,
En meure foudroyé, comme autrefois Alcide !
Qu’en son logis infect les guêpes, par mon vœu,
Fassent pleuvoir sur lui leur aiguillon de feu !
Puissé-je des frelons y voir tomber la foudre,
Voir l’araignoir en cendre et les balais en poudre,
Voir le dernier humain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause et mourir de plaisir !

QUATRAINS

(D’après Théophile GAUTIER)

Tandis qu’à leurs œuvres perverses
Les autres courent, haletants,
Velu, craignant froid et averses,
Tous les soirs, demeure dedans.

Chez les petits de l’arachnide,
Sournoisement, lorsque tout dort,
II va verser l’insecticide,
Poudre qui sèmera la mort.

Sur le plancher, dans sa cuisine,
II s’en vient, sinistre bourreau,
Massacrer à coups de badine,
Un cafard qui sort du fourneau.

Quand tout au monde se repose,
Lui, se rapproche du plafond,
Et dès qu’un moustique s’y pose,
II l’écrase à coups de torchon.

Près du lit couvert de dentelle
Où gît sa sœur, l’air énervé,
II s’écrie :  » Oh ! ma toute belle,
C’est pour toi que je suis levé!

Sur le mur, pour que tu sommeilles,
J’occis l’aragne au sang vermeil ;
Grâce au fruit de mes longues veilles,
Tu retrouveras le sommeil !

Sur le marbre de la toilette
Où boit le pou, l’oreille au guet,
Je le tue avec ma baguette,
Et jette son corps au baquet! »

Tout en composant ces discours,
Qu’à travers sa chambre il récite,
A coups redoublés, sans détours,
Il abat la puce et la mite.

Puis, lorsque sa besogne est faite
Et que la nuit s’en va finir,
Vers son bon lit tournant la tête ;
 » Sommeil, dit-il, tu peux venir ! « 

ODE AU POU

A mon très cher ami, Jac SEKSIK
Poilu de la Grande Guerre

0 Parasite édentulé,
Au corps aptère, au corselet
Dont les antennes, les deux yeux,
Ornent l’ovale tête, au mieux,
Bête à six pattes ;

0 petit insecte à museau,
Elégant comme un damoiseau,
Et plein de grâce,
Tu te nourris de notre sang,
Sur notre crâne ou notre flanc,
Mais dans la crasse !

Je t’adresse cette ode, à toi
Que l’on peut appeler le roi
Des parasites !
Mais, crois-le, malgré ce plaisir,
Je n’éprouve pas le désir
De tes visites !

Bonhomme Job, digne crasseux,
Et vous, le patron des pouilleux,
0 Grand Saint Labre,
Guidez mon esprit et mon cœur !
Vous aussi, Déesses d’honneur
De la Calabre !

Aidez-moi pour chanter le Pou,
Sages Virgile, Aristote ou
Divin Socrate !
Vous l’avez chanté dans le temps,
0 Philosophes dégoûtants,
Même Isocrate !

J’invoque Hérode, Marius,
Cassandre, Acaste, Antiochus,
Ceux qui, moururent,
Maximien, Arnoulphe, Sylla,
Phéretimès, et caetera…
Sous tes piqûres !

Mais, laissons les Grecs, les Romains,
Regardons nos contemporains,
Aussi nous-même !
Non, nous n’avons plus besoin d’eux,
Ni de leurs détails scrupuleux,
Pour ce poème !

Le Pou ? Mais l’on sait ce que c’est !
Depuis la guerre, tout Français
Qui se respecte
Est soldat, et comme un héros,
Nourrit sur sa tête ou son dos,
Ce sale insecte!

Aussi, je n’en écris pas plus
Sur le compagnon des Poilus :
C’est inutile,
Chacun, le matin et le soir,
Massacre son pou, sans espoir,
Et même mille !

LE SONGE

(D’après RACINE)

C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit,
Une grosse araignée à mes yeux s’est montrée,
D’une croix sur le dos pompeusement parée.
Sur ses huit pieds crochus marchant avec fierté,
Elle avançait vers moi, dans sa sombre beauté :
Cependant l’on voyait sur son hideux visage,
Les plis qui sont des ans l’irréparable outrage.
«Tremble, m’a-t-elle dit, Homme indigne de moi !
Le Grand Scorpion Noir l’emporte aussi sur toi,
Je te plains de tomber dans ses crocs redoutables,
Mon Maître ! » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre sur mon lit semblait me saluer ;
Et moi qui lui tendais les mains pour la tuer,
Je n’ai plus rencontré qu’un horrible mélange
De pattes, de crochets, un ramassis étrange
De lambeaux pleins de sang et de membres affreux
Que des cafards déjà se disputaient entre eux.
Grands Dieux ! En ce moment, devant moi se présente
Un jeune scorpion à la queue offensante
Qu’il portait en avant, comme un glaive pointu.
Sa vue a ranimé mon esprit abattu.
Mais, lorsque revenant de mon trouble funeste,
Pour l’écraser d’un coup je commençais le geste,
J’ai senti la douleur d’un homicide dard,
Que le traître en mon sein a plongé sans retard.

ÉCRASE BIEN ET LAISSE DIRE !

(D’après Mlle Théo MARTIN, dans l’Aube Grise)

Écrase bien et laisse dire !
Contre les envieux, sois fort,
Ami, le «Cafard » peut sourire,
Si c’est du rictus de la Mort !

Écrase bien et laisse dire!
Qu’importent les mauvais propos,
Si les Poux ne peuvent plus rire,
S’ils n’ont plus jamais de repos !

Ecrase bien et laisse dire !
Accomplis toujours ton devoir,
L’effroi du Scorpion fait rire,
Et son acte de désespoir !

Écrase bien et laisse dire !
Ne passe pas un seul jour sans…
Non plus une nuit… sans écrire
Sur le plafond, avec du sang !

Écrase bien et laisse dire !
Massacre tout sur ton chemin,
Et porte toujours, pour occire
L’Aragne, un Balai dans ta main !

Écrase bien et laisse dire
Celui qui se moque de toi !
Tu lui répondras : « Pauvre Sire,
Vous êtes plus sale que Moi ! »

Écrase bien et laisse dire !
Comme tout Homme de Génie,
A découvert on te déchire,
En dessous, je crois, on t’envie !

LE PLAFOND

(D’après Victor Hugo)

Au souffle de Velu, cuisine spacieuse,
Les aragnes pendues à ta voûte crasseuse
Frémirent comme au vent frémissent les épis,
Et son cri, ce doux cri, tout rauque de fureur,
Fit, nous l’avons tous vu, bondir, hurler de peur
Les cafards monstrueux sur ta porte accroupis.
Et lui, l’orgueil gonflait sa sifflante narine.
Ses deux bras, jusqu’alors croisés sur sa poitrine,
S’étaient enfin ouverts :
L’araignoir, soutenu dans sa main paternelle,
Inondé des éclairs de sa fauve prunelle,
Rayonnait au travers.
Quand il eut bien fait voir l’arme de ses campagnes
Aux dignes scorpions, comme aux vieilles aragnes,
Eperdu, l’œil fixé sur quiconque bougeait,
Comme un aigle arrivé sur une haute cime,
II cria tout joyeux avec un air sublime :
« Le plafond, le plafond est à moi désormais ! »

LES INSECTES

Non, le plafond n’est à personne,
Velu, le plafond est à nous,
Et chaque fois que l’heure sonne,
Nous nous y réunissons tous !
Le plafond c’est le grand, le vrai champ de bataille,
Bien plus noble pour nous, oh oui ! que la muraille.
Combattre en vue est beau !
Le plafond, c’est aussi le théâtre des crimes ;
Toujours y resplendit le sang noir des victimes,
II est notre tombeau !

LE POÈTE

Le plafond, le plafond, Mystère !
Et tous les plafonds de la terre,
Qu’ils soient civils ou militaires,
Que ce soient les plafonds des rois,
Monuments si poétisés,
Ceux des manants, ou des bourgeois,
Ne sont jamais sur nous posés
Que comme le ciel sur nos toits !
Non, si puissant qu’on soit, tant que l’on n’a pas d’aile,
Nul ne te fait parler, nul ne peut sans échelle
Te deviner à fond,
0 rectangle muet qui domines nos têtes,
Qui vois tous nos travaux, nos deuils comme nos fêtes,
Et qu’on nomme plafond !

BALLADE

(D’après Edmond ROSTAND dans Cyrano de Bergerac)

Ballade du Duel, qu’un soir, en rentrant tard,
Monsieur de l’Aragnac eut avec un Cafard.

Je ferme doucement la porte ;
J’allume l’électricité,
Et pends le chapeau que je porte,
A la patère d’à-côté.
|J’avance avec tranquillité,
Quand soudain, devant moi, sans phrase,
Je vois un cafard, arrêté :
Attention, que je l’écrase !

Vais-je donc appeler main-forte,
Pour tuer cette saleté ?
Car il faudra que je l’en sorte,
S’il court avec agilité
Au fond de quelque cavité.
Cet animal si laid me rase !
Je me sens plein d’anxiété :
Attention, que je l’écrase !

Je préférerais un cloporte,
Oui, je serais moins dégoûté ;
Mais, sur mon honneur, il importe,
Au nom de la salubrité,
Qu’un cafard soit exécuté,
Malgré le gluant de sa crase.
Je fais quatre pas de côté :
Attention, que je l’écrase !

ENVOI
Cafard, poche à mucosité,
La colère, à présent, m’embrase ;
De mon pied, avec sûreté,
Cette fois, tant pis, je t’écrase !
LE CAFARD : « Clac ! »

TIRADE DE L’ARAIGNÉE

(D’après Edmond ROSTAND, dans Cyrano de Bergerac.)

L’ARAIGNÉE SUR SA TOILE

« La sale bête ? » Ah, non, c’est un peu court, jeune homme,
On pouvait dire, ô Dieux ! bien des choses en somme,
En variant le ton, par exemple, tenez :
Amical : « Mais comment, vous n’avez pas de nez ? »
Solennel : « Ton filet formant un mouchoir sale,
Ton corps, dans un des coins, en serait l’initiale ! »
Dégoûté ; « Non, merci ! Je refuse un pareil berlingot ! »
Poseur : « Est-ce un bouton, un cancer, un chicot ? »
Lyrique : « Ah, c’est donc ça qui grouille dans mon crâne ! »
Pédant : « L’animal seul, je crois, qu’Aristophane
Appelle Hippocampelephantocamelos
Dut avoir… zut ! il me manque la rime en os…
Dut avoir tant de pieds, tout autour de sa tête ! » .
Inspiré: « Mais c’est un huitain, que cette bête ! »
Jovial : « Tu les prends à ton cou, quand tu cours? »
Sportif : « Entre animaux, si l’on ouvre un concours,
Après le mille-pieds, tu seras la première ! »
Stratège : « Vous ferez l’infanterie, en guerre ! »
Gouailleur : « Elle a du poil aux pattes ? Quel homard !
Crabe, où sont donc tes crocs ? Scorpion, et ton dard ? »
Majestueux, joignant le geste à l’apostrophe :
« Fermez ce parapluie, il n’a plus son étoffe ! »
Mondain : « Comme perruque, eh bien, ce n’est pas beau »
Larmoyant : «Pauvre mouche, avoir ça pour tombeau !»
Curieux : « Est-ce donc une boucle d’oreilles,
Un camée encastré dans huit griffes pareilles ? »
Satisfait : « J’ai compris, tu sers de fil à plomb ! »
Emphatique : « A l’envers, tu fais comme Absalon ! «
Truculent : « C’est donc toi qui fournis à la Chine?
Moulin à soie, allez, un peu voir ta bobine ! » .
Naïf : « Oh ! sacrebleu ! Quel animal vilain !
Est-ce un gros pou géant, ou bien, un poulpe nain ? »
Clair : « Sur ta cible à jour, quelle drôle de mouche
Qui dévore aussitôt la mouche qui la touche ! »
Prévenant : « En tournant, graine, sur ton tamis,
Prends garde de tomber à travers le treillis !»
Enfin, lançant ici votre cri légendaire :
« Cette araignée, horreur, c’est tout ma belle-mère ! »
Voilà ce qu’à peu près, Monsieur, vous m’auriez dit,
Si vous aviez voulu me montrer votre esprit…..
Je viens de me le dire avec assez de verve,
Mais j’aurais aimé mieux qu’un autre me le serve !

NON, MERCI

(D’après Edmond ROSTAND, dans Cyrano de Bergerac.)

…Et que faudrait-il faire ?
Laisser une araignée en un coin du plafond,
Abîmer la peinture en grattant, comme font
Les perce-oreilles roux, sous les vieilles écorces?
Non, merci ! Permettre aux méchants scorpions torses,
In cauda venenum – de loger dans mes murs,
Comme certains vers blancs au milieu des fruits mûrs,
Et voir parfois, dans l’ombre, une pince sinistre
Hors d’un trou ? Non, merci ! Trouver dans un registre
Ou dans un livre ancien, quelques pattes, des peaux
Découvrir des papiers transformés en copeaux
Par des insectes vils ? Non, merci ! De la sale
Galère tolérer la souplesse dorsale,
Sur mon plancher luisant, sans l’écraser d’un coup ?
Non, merci ! Supporter la puce sur mon cou,
La punaise en mon lit, et le pou dans ma barbe,
Leur passant mon séné pour avoir leur rhubarbe ?
Non, merci ! Ménager les guêpes, les frelons,
Les mouches, les cousins, volant dans mes salons ?
Non, merci ! Et le soir, assister aux conciles
Que les cafards, chez moi, parmi les ustensiles,
Tiennent à la cuisine, assemblés par milliers ?
Non, merci ! Non merci ! Derrière les piliers
De l’escalier humide, au jardin, voir les traces
Du chemin qu’ont suivi les gluantes limaces ?
Non, merci ! Constater que dans mon vêtement
La mite de sa larve a fait le logement ?
Trouver des cancrelats contre toutes mes portes,
Et sous chaque carreau, des foules de cloportes ?
Non, merci ! Remarquer des pattes de grillon
Dans mon verre, ou sortir une aile du bouillon,
Mâcher avec mon pain le corps dur d’un insecte,
Sentir, en avalant, une masse suspecte ?
Non, merci! Non, merci ! Non, merci ! Mais… tuer,
Ecraser sans pitié, sabrer; s’évertuer
A massacrer toujours ; verser l’insecticide;
Se servir du balai, du pied, ou de l’acide ;
Nettoyer le plancher, épurer le plafond,
Et visiter souvent tous les trous, jusqu’au fond ;
Secouer les habits, et vider les armoires ;
Trier les vieux papiers, feuilleter les grimoires ;
Se montrer sans pitié pour le moindre animal,
Ne jamais avoir peur de lui faire du mal ;
Quel rêve ! C’est alors que l’on sue et l’on trime,
Qu’on lutte avec plaisir, qu’avec joie on s’escrime ;
C’est alors qu’on dort bien, qu’on a de l’appétit ;
Qu’on peut se murmurer, modeste : « Mon petit,
Sois satisfait des coups, des morts, de la Victoire :
A vaincre par soi-même, on triomphe avec gloire !
Ton étage est purgé des poux et des cafards ;
Des guêpes, des frelons, tu ne crains plus les dards ;
L’araignée a vécu ; que grand est ton mérite !
Tu t’es débarrassé de chaque parasite.
…Vainqueur incontesté, si je prends du tilleul,
Pour calmer mon bonheur, du moins, je le bois seul!

SONNET

(D’après ARVERS)

Mon mur a son secret, mon plafond son mystère :
Un meurtre épouvantable en un instant conçu.
Bourrelé de remords, longtemps j’ai dû le taire ;
De cet assassinat, personne n’a rien su.

En l’observant de près, je m’étais aperçu
Qu’elle était bien jolie et pourtant solitaire :
Je ne la vis jamais descendre sur la terre,
Jusqu’au coup de balai qu’hélas elle a reçu.

Si belle et quoique Dieu l’eût faite douée et tendre,
Oui, je l’ai massacrée, en fureur, sans entendre
Son petit cri d’amour élevé sous ses pas.

Et le chasseur farouche, à l’aragne fidèle,
Se dira, parcourant ces vers tout remplis d’elle :
« Quelle est donc cette histoire? » et ne comprendra pas.

ODE A L’ARAIGNÉE

(D’après EDMOND ROSTAND, dans Chanteclerc.)

Toi qui tisses tes fils autour des graminées,
Qui tues en le mangeant un vivant scorpion,
Et qui détruis pour nous, ô saintes destinées,
Les mouches contaminées,
Les guêpes et leur aiguillon,
Je t’adore, Araignée, ô toi dont la tanière,
Au lieu de contenir des graines ou du miel,
S’étale, transparente et pleine de lumière,
Dans le palais, dans la chaumière
Du pauvre et du riche mortel !
Tu vis chez le Préfet, tu vis au Presbytère,
Tu vis à la Mairie, ou bien dans le Clocher,
Dans l’antre de Thémis, dans l’île de Cythère,
Et tu connais chaque mystère,
Car l’on ne peut rien te cacher !

Je te chante et tu peux m’accepter pour ton prêtre,
Toi qui viens dans ma chambre, et jusque sous mes yeux,
Et qui choisis souvent, quand tu vas disparaître,
L’humble volet de ma fenêtre,
Pour lancer tes derniers adieux.
Tu recouvres de fils le ventre de la cruche ;
Tu reprises parfois les trous d’un vieux torchon ;
La meule a grâce à toi du cristal pour capuche,
Et sa petite sœur la ruche
A de l’argent pour capuchon !
Gloire à toi dans le pré ! Gloire à toi sur la vigne !
Sois bénie en la cave et contre le portail !
Verte comme un lézard, ou blanche comme un cygne,
Tu descends le long de ta ligne,
Dans la remise du bétail !

En te voyant marcher, silencieuse et sombre,
Dans un coin du plafond, lorsque tombe la nuit,
C’est toi qui nous permets d’espérer, malgré l’ombre
Des terribles malheurs sans nombre,
Sous lesquels notre joie a fui !
Je t’adore, Araignée, et bien plus que les roses,
Et bien plus que la Femme, et plus que la Chanson!
Belle, tu resplendis, quelles que soient tes poses,
Araignée, ô toi que les choses
Aiment toutes à l’unisson !

VIVE LA NUIT

(D’après Edmond ROSTAND, dans Chantecler.)

L’ARAIGNÉE
Vive la tendeuse de voiles,
Celle qui dérobe mes toiles
Dans le plafond !
Car elle m’est bien utile,
Sans elle, de mon nid textile
On voit le fond !
LA PUNAISE
Vive la nuit, souple et benoîte,
Où nous sortons de notre boîte ;
Où, quand il dort,
L’homme ne bouge ni se gratte,
Et ne sent même notre patte,
Ni qu’on le mord !
LE POU
Vive la nuit, commode et molle,
Où l’on peut, lorsque l’on immole
Un ventre, un dos,
Ensanglanter les draps, la laine,
Sans avoir à prendre la peine
D’être un héros !
LA PUCE
Vive l’ombre où sans crainte on pique
Le paillard comme le pudique,
Sans qu’il vous voit ;
Où l’on peut rester dans sa couche,
Sans aucun danger qu’il vous touche
Du bout du doigt !
LE MOUSTIQUE
Vive la nuit où l’on se venge,
La nuit où l’on chante, où l’on mange
Tant qu’on a faim,
Sans avoir peur que la victime,
En nous tuant, commette un crime
Avant la fin !
LE CAFARD
Vive l’heure où dans la cuisine,
Sans être dérangé l’on dîne
D’un bon repas,
Des miettes que l’Homme a laissées
Et que nous avons ramassées
En petits tas !

ÉPITHALAME

Jolis cafards luisants, et scorpions guerriers,
Puces au dard aigu, punaises odorantes,
Moustiques musiciens, et cancrelats altiers,
Blattes, lézards et poux, iules et tarentes,

Cerfs-volants, coupe-pieds, tiques et hannetons,
Chenilles et serpents, fourmis et perce-oreilles,
Cloportes et souris, limaces et frelons,
Mouches, guêpes, cousins, dictiques et abeilles,

0 vous tous qui vivez sur terre ou dans les airs,
Calmez votre douleur et tarissez vos larmes,
Rentrez vos aiguillons, vos crochets et vos fers,
Le Velu se marie, il a quitté ses armes.

C’en est fait, désormais l’espace est bien à vous ;
Les combats sont finis pour toujours dans l’étage,
Sortez, beaux animaux, n’ayez plus peur du loup,
Tout heureux et tout gai, Le Velu déménage.

Le vieux plumeau râpé, le funeste balai,
L’araignoir monstrueux, le soufflet et la poudre,
Le torchon, l’escabeau, tout vient d’être emballé,
Jupiter déguerpit, ne craignez plus la foudre.

Le chasseur se marie : il en est tout content ;
II a décidé ça quand il s’est vu tout chauve.
« Bah ! s’est-il écrié, je crois qu’il est bien temps
De courir à l’hymen ! Vive l’amour ! I love ! »

« La chasse, c’est bien beau, mais je n’ai plus vingt ans,
J’en ai soixante-neuf. Ma vue s’est affaiblie,
Les balais sont pour moi des fardeaux trop pesants,
Je manque le gibier : cela trouble ma vie ! »

« Quittons donc l’offensive et laissons l’araignoir,
Trouvons dans le quartier une petite femme,
Prenons-la comme on prend une aragne, le soir,
Donnons-lui notre nom, notre cœur et notre âme! »

Et c’est ainsi qu’il fit. En habile chasseur,
II tendit ses filets d’une main si capable,
Qu’une gente personne, ayant encor son cœur,
Fut très heureuse, un jour, d’y tomber adorable.

Le farouche guerrier, se plaisant dans l’horreur,
Qui n’aimait que les coups, les combats et les armes,
Sentit à ce moment la bonté dans son cœur,
Et, tout surpris, versa pour une fois des larmes.

Jadis, lorsque la nuit étendait son manteau,
Le Velu se levait et chassait dans l’étage,
Il donnait de grands coups de balai, de plumeau,
Et s’il dormait parfois… il rêvait de carnage.

Aujourd’hui, plus de guerre, et lorsqu’il se fait tard,
A côté de sa femme avec calme il repose,
Et bien loin de songer au dégoûtant cafard,
Parfois en songe, il voit… il voit… un bébé rose !

LES ADIEUX DE FONTAINEBLEAU

La nuit tombait. L’ombre emplissait l’étage,
Son déménagement était déjà parti.
La cuisine était vide, et le chasseur en nage,
Se reposait un peu, le corps anéanti…
Il s’était laissé choir sur une vieille caisse,
Et là, les yeux perdus dans le gris du plafond,
II songeait. Tout d’un coup, il revit sa jeunesse,
L’époque où, tout joyeux, il louait le second,
Possédant alors sa crinière léonine,
Une oreille exercée et de beaux yeux perçants,
Son bras agile et vif, sa jambe sûre et fine,
Son torse rebondi, ses gros poings menaçants…
« Qu’êtes-vous devenues, ô périodes heureuses ?
Belles nuits de carnage et combats du matin ?
Vous vous êtes enfuies, ô chasses giboyeuses,
Vous avez disparu dans le morne lointain.
La vieillesse à ma porte est là, qui me surveille ;
Je me sens fatigué, mon sang se refroidit ;
Tout me lasse et m’ennuie, et la plus courte veille,
La plus petite chasse aussitôt me raidit…
Je vais quitter ces lieux où j’ai connu la joie :
Adieu, belle cuisine, et vous, charmant salon,
Adieu, petite chambre aux tentures de soie,
Adieu, clair entre-deux, adieu, tout le second !
Combien je vous aimais, plafonds pleins de fissures,
Lamelles des planchers et papiers des cloisons,
Portes dont si souvent je lavais les peintures,
Fenêtres d’où l’on voit les plus beaux horizons !
Il me faut vous quitter, palier, et vous, armoire,
Evier toujours blanchi, fourneau du potager,
Robinet reluisant où j’aimais tant à boire,
Table de chêne vert, où j’aimais à manger !…
Et vous, reliques, vous, armes de mes campagnes,
Vous aussi, je m’en vais vous quitter, oui, ce soir !
Adieu, balai sacré, tueur de tant d’aragnes,
Adieu, plumeau léger, adieu, bel araignoir!
Araignoir, je t’adore et je te remercie,
Je n’oublierai jamais ton aide et ton soutien,
J’ai profité de toi pendant toute ma vie,
Si mon nom est connu, c’est à cause du tien !
Adieu, bel araignoir!… » Et doucement des larmes
Coulaient en serpentant des beaux yeux du chasseur.
La nuit était venue et l’ensemble des armes
Ne formait qu’un amas lugubre de noirceur.
Velu s’était levé. Lentement, de l’étage
II avait fait le tour. Il prit son vieux chapeau,
Sa canne en cerisier, et puis, avec courage,
II endossa sans trembler son manteau…
Dans l’ombre et à tâtons, il entr’ouvrit la porte,
Raclant une allumette, éclaira son flambeau…
Et, du geste brisé d’un mourant qu’on emporte,
II referma son huis, comme on ferme un tombeau…