Comédie en 3 actes
Représentée pour la première fois à Marseille, le mercredi 21 décembre 1921, à « La Maison de Provence ».
Personnages :
Paul Vartigué, propriétaire, 65 ans
Roger Poulet de Luymes, locataire, 30 ans
Un porteur de contraintes, 60 ans
Un mendiant, 75 ans
Yvonne Villard, fiancée, 25 ans (nièce de Paul Vartigué)
Mme Eugénie Villard, sa mère, 50 ans (sœur de Paul Vartigué)
Mlle Yolande Saule, amie d’Yvonne, 20 ans
Mlle Juliette Boisvert, amie d’Yvonne, 20 ans
Gertrude, la bonne, 20 ans.
La pièce est dédiée « A mes clients, avec tous mes remerciements. »
Humour grinçant, certainement.
Pierre Coutras était avocat spécialisé dans les relations entre propriétaires et locataires, et son expertise dans le domaine lui avait valu le titre de « Pape des loyers ».
Tous ceux qui l’ont connu l’ont entendu dire un jour ou l’autre qu’il n’y avait rien de pire que d’être propriétaire ou locataire…si ce n’est de les avoir les uns et les autres comme clients…
La lecture en 2022 de ce texte, écrit « à chaud » par un juriste en 1921 me pousse à faire quelques recherches sur la situation de l’immobilier à l’époque. (Principales sources dans cet article)
La pièce commence par un monologue de Paul Vartigué, qui se plaint : âgé de 65 ans, il a économisé toute sa laborieuse vie pour pouvoir acheter un immeuble, et en vivre (espérait-il) confortablement.
Malheureusement, les loyers ne rentrent pas comme prévu, les impôts et taxes s’accumulent, et le pauvre homme est ruiné.
Cette image qui peut paraître caricaturale est malheureusement le reflet d’une réalité.
Dès le début de la guerre en 1914, l’état va imposer un blocage des loyers. Il n’est plus possible de les augmenter, il devient quasiment impossible d’expulser les locataires, et de nombreuses catégories de familles (les critères seront modifiés plusieurs fois pendant la guerre) ne sont plus tenues de payer leur loyer. Le paiement du terme est différé de 90 jours, mais ce délai est sans cesse reconduit.
Si les loyers cessent de rentrer immédiatement (le taux d’impayé sur les habitations monte à 60% en 1917, contre 4% en période « normale »), les propriétaires doivent continuer à payer les impôts, les assurances, et assurer les travaux dans les immeubles. Des indemnités promises par l’état ne sont toujours pas versées plusieurs années après la fin de la guerre.
Certains petits propriétaires se retrouvent ruinés. Leurs immeubles sont saisis par le fisc. Ceux qui habitaient dans leur propre immeuble sont à la rue, n’ayant le statut ni de propriétaire, ni de locataire… Ainsi un des personnages de la pièce, réduit à habiter dans la chapelle de son caveau de famille. Un cas extrême, certes.
La loi du 9 mars 1918 a pour but de sortir de la crise, et de trouver une solution à tous les conflits entre propriétaires et locataires.
Cette loi exonère les catégories les plus fragiles de la population « (les mobilisés, les réformés à la suite de blessures ou maladies, les attributaires d’allocation, les locataires payant un loyer égal ou inférieur à 500 F à Paris et dans sa banlieue, 350 F dans les villes de plus de 100 000 habitants, etc…) du paiement des loyers échus ou à échoir pendant toute la durée des hostilités et dans les six mois qui suivront le décret fixant leur cessation. »
Les propriétaires doivent faire la preuve que le locataire a les ressources nécessaires pour payer l’arriéré. En ajoutant cette clause, le législateur a conscience que ce sera dans la plupart des cas impossible à réaliser.
Les propriétaires s’estimant lésés ont la possibilité de faire une déclaration de perte de revenus, pour recevoir une indemnité, jusqu’à fin 1920.
Au bout du compte, la perte globale de revenus pour les propriétaires sera évaluée à environ 20%, ce qui est relativement peu, mais causera la ruine des plus petits d’entre eux, n’ayant pas les moyens de rester sans revenus réguliers.
La conséquence de ces conflits propriétaires / locataires va être une formidable crise du logement, qui durera jusqu’à la loi du 1er septembre 1948.
Les immeubles ne sont plus entretenus, ne sont plus vendables, puisqu’occupés par des locataires qui ne payent plus leurs loyers, plus aucun investissement n’est fait dans la construction.
C’est le deuxième sujet de la pièce, dans laquelle les plus jeunes personnages ne peuvent se marier car trouver un logement est impossible.
Revenons à Pierre Coutras : il prête serment d’avocat le 23 octobre 1911.
Marseille est une grande ville, sa population s’accroit beaucoup plus vite que sa capacité d’hébergement, et avant même la crise causée par la guerre, il y a déjà assez de conflits pour remplir les cabinets d’avocats.
C’est donc certainement de manière naturelle que Pierre se retrouve spécialisé dans ce type de procès, gagnant en compétence et devenant « le Pape des loyers » !
Comme toujours dans ses écrits, il règle ses comptes.
Ainsi dans un échange entre trois des personnages, qui parlent d’un immeuble « au coin de la rue Royale et de la place Pompadour ».
– « Je voulais parler de la rue Impériale et de la place Marengo »
– « Vous voulez sans doute désigner la rue de la République et la place Léon Gambetta ? »
– « Parfaitement, ou mieux, pour être tout à fait d’accord avec une délibération demeurée inconnue du Conseil Municipal : la rue Général Joffre et la place de la Victoire. »
Si la Rue Impériale est bien devenue la Rue de la République, les autres modifications sont certainement du fait de l’auteur, et en tout cas, ne correspondent pas à une possibilité géographique, aucune de ces places ne faisant angle avec la rue de la République.
Il semble qu’il ait eu prémonition de deux événements désagréables qui se produisirent plus tard : nous savons qu’il n’apprécia pas que sa maison de famille, dans laquelle il est né, a vécu, et est mort, change de rue et de numéro par décision municipale en 1926.
Et qu’il considéra le classement de la Corniche des Cévennes, autrefois Route Royale, en Départementale 9, dans les années 30, comme une véritable dégradation !